Yves Struillou, directeur général du travail : « 180 branches professionnelles sont d'ores et déjà restructurées »
Social - IRP et relations collectives
07/09/2018
Avec l’ordonnance nº 2017-1385 relative au renforcement de la négociation collective, la restructuration des branches a connu une nouvelle accélération. Où en est ce chantier ? Comment les partenaires sociaux ont-ils réagi aux nouveautés introduites par l’ordonnance ? Le point avec Yves Struillou, directeur général du travail.
Yves Struillou : La loi du 8 août 2016 a fixé l’objectif d’arriver à un paysage conventionnel composé de 200 branches en août 2019. Désormais, les travaux de la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles (SCRBP) de la commission nationale de la négociation collective (CNNC) sont préparés de façon technique dans le cadre d’un groupe de travail qui réunit mensuellement les équipes de la DGT et les représentants des organisations qui siègent à la CNNC. La situation de chaque branche est analysée précisément. Plusieurs options de rapprochement sont envisagées, les arguments en faveur d’une option ou d’une autre avancés par les organisations présentes dans les branches, que les équipes de la DGT rencontrent régulièrement, sont soigneusement examinés. Au sein du groupe de travail, les partenaires sociaux du niveau national et interprofessionnel se montrent particulièrement actifs, jouant un rôle de relais précieux avec les organisations professionnelles d’employeurs des branches et les fédérations syndicales. Cette démarche méthodique et les échanges denses, nourris et surtout étayés au sein du groupe de travail, permettent de faire émerger des propositions de rattachement. La sous-commission donne ensuite un avis sur les projets de fusion de branches proposés par la DGT avant de valider définitivement le projet de rapprochement dans un second avis, avis qui permet la publication d’un arrêté de fusion de champs professionnels. Ces échanges ont ainsi permis d’acter la restructuration de 176 branches au 31 mai 2018. Lors de la dernière sous-commission qui vient de se tenir le 3 juillet, quatre projets de fusion supplémentaires ont été décidés. À la fin du mois de juillet, 180 branches étaient restructurées par l’administration en concertation avec les partenaires sociaux.
LSQ : Quels changements l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective a-t-elle introduits ?
Y. S : L’article 25 de la loi du 8 août 2016 avait fixé un calendrier comportant deux échéances. Avant le 31 décembre 2016, l’engagement de la restructuration pour les branches territoriales et celles sans négociation depuis 15 ans : toutes les branches concernées ont fait l’objet d’un examen en sous-commission de la restructuration des branches professionnelles, et si quelques-unes sont encore en cours de traitement, elles font l’objet d’un suivi régulier de la sous-commission. Avant le 8 août 2019, l’engagement de la restructuration pour les branches sans négociation depuis 10 ans : le ministre chargé du Travail ne pouvait procéder à la restructuration des branches (autres que celles sus-mentionnées) en cas d’opposition écrite et motivée des partenaires sociaux jusqu’au 8 août 2019. Signe d’une volonté politique affirmée, l’article 12 de l’ordonnance du 22 septembre 2017 vient accélérer le calendrier. En effet, la restructuration des branches sans négociation depuis 10 ans et celles de moins de 5 000 salariés devait être engagée avant le 8 août 2018 et la faculté d’opposition à un projet de restructuration a pris également fin au 8 août 2018, soit un an avant l’échéance initialement prévue.
LSQ : Comment les branches ont-elles réagi ?
Y. S. : Si quelques grands secteurs tels que la métallurgie et le bâtiment ont engagé il y a déjà plus d’un an une réflexion globale sur leur architecture conventionnelle, les démarches de rapprochements volontaires étaient assez rares il y a encore un an dans les autres secteurs. Or on voit bien que l’impulsion donnée par les ordonnances, qui ont accéléré le calendrier de restructuration des branches, notamment celles de moins de 5 000 salariés, ainsi que les travaux actifs conduits ces derniers mois par l’administration en concertation avec les partenaires sociaux représentatifs au niveau national et interprofessionnel, ont changé la donne. Constatant le rythme soutenu d’avancée des travaux de l’administration, de nombreuses branches ciblées par l’article L. 2263-1 du Code du travail et donc par la sous-commission et son groupe de travail décident de prendre les devants et d’engager des démarches de rapprochements volontaires. La situation de ces branches de moins de 5 000 salariés qui ont apporté les gages de l’engagement d’une démarche paritaire de rapprochement ne sera examinée qu’à partir du mois d’octobre. Il y a donc fort à parier que de nombreux rapprochements n’interviendront qu’à l’automne.
LSQ : Les partenaires sociaux ont-ils une carte à jouer dans les mois à venir ?
Y. S. : Nous avons toujours considéré que la restructuration des branches doit être en premier lieu l’œuvre des partenaires sociaux des branches. C’est seulement quand aucune dynamique n’est à l’œuvre, à terme, que l’administration reprend la main. Si ces branches n’ont pas conclu d’accord pour aller vers une fusion, si elles n’ont pas formalisé une volonté paritaire de fusionner à court terme avec une branche identifiée, alors dès le mois de novembre des projets de fusion seront proposés dans le cadre de la sous-commission restructuration. Par ailleurs, dans le cadre des nombreuses rencontres que nous avons avec les branches professionnelles, nous constatons qu’elles commencent à mesurer l’étendue des marges de manœuvre juridiques qui existent dans le cadre de la restructuration des branches afin de construire l’architecture conventionnelle qui leur convient au mieux.
LSQ : Quelles sont ces marges de manœuvre ?
Y. S. : La fusion des champs conventionnels ne signifie pas la fusion immédiate des conventions collectives ni la constitution d’une nouvelle convention collective dont toutes les stipulations s’appliqueraient à tous les salariés. La loi a laissé un délai de cinq ans aux partenaires sociaux pour que les stipulations conventionnelles qui régissent des situations équivalentes soient remplacées par des stipulations communes. Cela n’exclut pas que les situations différentes soient traités de façon différenciée dans le cadre d’annexes spécifiques, par exemple pour ce qui concerne des catégories professionnelles différentes de salariés ou encore des sous-secteurs professionnels différents avec des métiers différents. D’ores et déjà, le secteur des transports, même si ceci ne résulte pas d’une restructuration mais d’une construction historique, est organisé avec une convention socle et des accords propres aux différents sous-secteurs. On peut très bien imaginer que suite à une fusion des champs conventionnels, les partenaires sociaux d’une branche construisent une convention socle, une sorte de « maison commune » où ils traiteraient des enjeux communs, par exemple la formation professionnelle ou encore la lutte contre les discriminations, et qu’ils traitent dans les annexes des stipulations spécifiques aux différentes situations. En outre, si la représentativité des organisations syndicales et patronales s’apprécie uniquement après la fusion au niveau du champ de la convention elle-même, c’est-à-dire au niveau du champ issu de la fusion et non au niveau des annexes, rien n’exclut des accords politiques qui peuvent être traduits ensuite dans le cadre de protocoles, qui permettent des pratiques de négociation spécifiques au sein des annexes.
LSQ : Comment réagissent les branches comptant des effectifs importants ?
Y. S. : On constate que ces branches, qui ne sont pas concernées par cette première étape au terme de laquelle les branches professionnelles de moins de 5 000 salariés devront être restructurées, engagent aussi des démarches de rapprochement en envisageant bien souvent une architecture conventionnelle composée d’un socle commun et d’annexes. Ceci est le signe que les partenaires sociaux sont désormais largement mobilisés sur ce chantier et s’inscrivent dans une démarche de construction politique et sociale dont l’architecture conventionnelle choisie est la traduction.
Propos recueillis par Aude Courmont
Source : Actualités du droit