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Intelligence artificielle : les grands axes du rapport final de la mission Villani révélés

Tech&droit - Intelligence artificielle
29/11/2017
Chargé, en septembre dernier, par le premier ministre, Édouard Philippe, d’une mission sur l’intelligence artificielle, Cédric Villani vient de rendre publique sa note d’étape. À mi-parcours, quels sont les premiers retours des multiples auditions menées ? Quels seront les principaux axes du rapport final ? Ses propositions seront-elles chiffrées ? Le point.
Discours de la méthode Villani
3 mois d’auditions, 250 personnes entendues (issues de 13 pays), près de 600 experts demandant à être écoutés, et une plate-forme bientôt lancée pour recueillir d’autres contributions… Les travaux de la mission Villani avancent.
 
« Avec l'IA est né un véritable imaginaire, souvent négatif, qui doit être pris véritablement au sérieux, mais un imaginaire positif doit maintenant pouvoir émerger », souligne le mathématicien, pour qui « à ce jour, c'est erroné de parler d'intelligence » pour cette technologie, d’autant que « pour l'instant, on n'a seulement commencé à effleurer le sujet de l'IA ».
 
Cédric Villani a rappelé que de nombreux rapports ont déjà été publiés sur l’IA (celui de FranceIA et de l’OPESCT, notamment). Mais les objectifs assignés à cette mission vont plus loin. Elle devra :
  • étudier les actions nécessaires pour permettre à la France et à l’Europe d'être à la pointe de l’économie de l’IA ;
  • discerner les meilleures pratiques internationales en matière d’amélioration des politiques publiques ;
  • identifier les applications à déployer prioritairement ;
  • anticiper ses effets sur le travail ;
  • déterminer un cadre éthique, à  même d’instaurer une confiance dans cette technologie.
 
Aux termes de ces trois premiers mois, au-delà des constats déjà abondamment dégagés (domination très forte des États-Unis et de la Chine, constitution de silos fermés de données, craintes sur l’emploi et l’éthique, etc.), la mission Villani met également l’accent sur un point assez peu souvent abordé : le défi écologique de cette technologie, qui est énergivore.
 
Ce rapport d’étape révèle, en outre, la philosophie de ce groupe de travail : accompagner le développement d’une IA respectueuse de la dignité de la personne, qui ne creuse pas les inégalités, et porter ces enjeux sur la place publique, tant au niveau des experts que du grand public.
 
Pour le député, l’heure est désormais à la fixation d’une feuille de route concrète et financée : « notre finalité, rappelle le député, c’est de faire des suggestions opérationnelles à l'État ». Une ambition relayée par Mounir Mahjoubi, pour qui « 2018, c'est l'année où l’on va faire des choses pour l'intelligence artificielle ».
 
De la nécessité d’une politique industrielle et économique innovante et ambitieuse
À côté des grands acteurs internationaux déjà très en avance (GAFA, NATU, BATX, etc.) qui concentrent les ressources humaines et les données, Cédric Villani souligne que l’on voit également émerger d’autres pays (le Canada et Israël, mais également certains pays d’Europe du Nord). La France doit, avec L’Europe, trouver sa place, même si le chemin est étroit, voire plus qu’étroit.
 
La solution choisie par la mission sur l’IA : faire émerger des écosystèmes forts, dans un nombre de domaines limités. L’objectif : positionner efficacement la puissance publique comme moteur, en se concentrant sur certains secteurs clefs, devenus prioritaires : le transport, la santé, l’environnement et la défense/sécurité.
 
Avec deux autres points d’actions importants : l’éducation et l’inclusion.

Pour une politique de la donnée adaptée aux enjeux de l’IA
Le secrétaire d’État chargé du Numérique a mis en avant l’importance de la question de la disponibilité des données et de la confiance dans ces jeux de données et la nécessité de définir le rôle de l’État dans ce rapport de confiance et dans la production de ces données. Pas de développement de l’IA sans accès massif aux données, en effet. Ce constat posé, toute la difficulté mise en avant par cette mission c’est de trouver le juste équilibre entre protection (logique européenne) et valorisation économique de ces données (approche américaine). Le tout, dans un climat de confiance dans la qualité des données (biais, transparence, usages, etc.).
 
La mission fera ainsi des propositions pour favoriser l’ouverture, la mutualisation et le partage de données publiques et privées. Cela passera par une cartographie des bases de données existantes et la mise en réseau de données issues de nombreux secteurs. Des données qu’il faudra parfois structurer pour les rendre exploitables.
 
Le groupe de travail réfléchit également aux moyens de favoriser la réappropriation des données par les individus, notamment par le biais de l’activation du droit à la portabilité, et au développement de droits collectifs contre les biais ou les discriminations (actions collectives, par exemple).
 
 
Anticiper et maîtriser les impacts de l’IA sur le travail et l’emploi
Une transformation massive des emplois aura lieu, mais pour Cédric Villani, les « grands écarts entre les projections des spécialistes sur l’emploi », sont de nature à démontrer qu’ « il existe une réelle incertitude qu’on ne peut pas trancher ».
 
Tout l’enjeu repose, pour le mathématicien, sur la complémentarité homme/machine : « l'IA va permettre de débarrasser l'humain de ce qui est répétitif dans tous les secteurs : c’est la clef d’une cohabitation réussie avec la machine ».
 
La mission souligne également la nécessité de former davantage aux métiers de l’IA. De très nombreuses offres d’emplois ne sont pas pourvues, faute de candidats présentant les compétences ad hoc. La formation n’est pas encore au niveau et ne répond pas aux besoins de compétences précises du marché. La mission insiste donc sur l’obligation de réorienter la formation initiale vers l’apprentissage de ces nouvelles compétences issues de l’automatisation mais également d’encourager l’adaptabilité et la créativité.
 
Comment concilier IA et économie soutenable et écologique
Pour Cédric Villani, « l’écologie est un vrai enjeu : il faut maîtriser la consommation énergétique de l’IA ». Un chiffre illustre cette problématique : un organisme américain prévoyait, il y a déjà 2 ans, qu’en 2040 les besoins en calcul dépasseraient la production énergétique mondiale (Rebooting the IT Revolution : a call to action, Semiconductor industry association, Semiconductor research corporation, sept. 2015).
 
La mission souligne les deux aspects de cette considération écologique : développer une IA moins énergivore et plus verte et, parallèlement, accentuer la recherche vers une IA au service de l’écologie, secteur dans lequel la France pourrait exercer un leadership.
 
Plusieurs pistes sont envisagées. Parmi celles-ci :
  • la création d’un centre de recherche dédié à la soutenabilité du numérique et de l'algorithmie ;
  • la création d’une base de données publique pour que les acteurs du numérique puissent tester leur impact environnemental ;
  • le développement des incitations au verdissement des datacenters ;
  • la préparation de l’après-silicium, en sollicitant de l’industrie européenne du semiconducteur une feuille de route.
 
Là encore, des chantiers clefs devront être identifiés pour avancer de manière pragmatique.
 
Pour un cadre éthique et de confiance
Pour Mounir Mahjoubi « il y a une inquiétude des Français », particulièrement lorsqu’une décision est prise, non pas par un médecin ou un agent public, mais par une IA. Comprendre la prise de décision, « C’est à la fois un sujet technique, mais aussi un sujet politique, pédagogique et démocratique ». Pour le secrétaire d’État au Numérique, il faut déterminer « qui dira demain quels sont les algorithmes acceptables et comment on évaluera et on régulera ces algorithmes ».
 
Acceptation des algorithmes et éthique sont intimement liées. Sur ce point, Cédric Villani a mis en avant « l’importance du trio éthique, confiance et responsabilité ». La confiance dans l’IA ne sera possible que si cette technologie est explicable et respecte certaines règles éthiques.
 
Sur ce sujet clef de l’acceptabilité, la mission fera des propositions, à la fois sur les modalités d’une gouvernance éthique de l’IA et sur l’identification de règles.
 
Les propositions pour rendre la recherche agile et diffusante
Autre axe de réflexion important de cette mission, la recherche. Fuite des cerveaux de chercheurs, fuite des cerveaux d'entrepreneurs, etc. Les auditions ont révélé, selon le député, « un besoin de porosité public/privé et d'échanges internationaux », pointant l’insuffisance de liens avec les entreprises.
 
Dans le rapport, figureront donc des propositions, notamment sur :
  • l’ouverture de facilités supplémentaires aux chercheurs ;
  • l’amélioration de l’environnement de travail des chercheurs en IA, à la fois pour faire revenir les français, mais aussi  pour attirer les chercheurs étrangers ;
  • la mise en place d’un écosystème plus favorable à la création d’entreprises ;
  • l’allégement de certaines contraintes administratives ;
  • l’organisation de défis sur des problématiques identifiées du monde industriel.
 
Une des propositions importantes portera également sur les moyens de favoriser la création de lieux emblématiques de l’IA, qui rassembleraient toute la chaîne de des acteurs (chercheurs, entrepreneurs, bien sûr, mais aussi financeurs, ingénieurs, etc.).
 
Les suites de la mission Villani
« Il faut agir très vite parce que la course est lancée, mais pas trop vite », soutient Cédric Villani. Le calendrier est donc le suivant : finalisation du rapport courant janvier, remise fin janvier/début février et, précise Mounir Mahjoubi, « réponse du gouvernement au premier trimestre 2018 ».
 
Côté chiffrage des propositions, aucun chiffre précis avancé, mais des ordres de grandeur. Cédric Villani avoue avancer avec une grande prudence, mais cite le cas de la Finlande qui investit 100 millions par an dans l’IA (une économie qui représente, en volume 10 % de celle de la France). Parallèlement, pour le député, il faudra aussi réaliser en Europe des investissements très lourds, notamment pour la cyberséurité (plusieurs dizaines de milliards d’euros sont à prévoir, pour rattraper le retard).
 
Précisons que ce rapport sera accessible aux experts, bien sûr, mais aussi diffusé auprès du grand public, notamment grâce à une vidéo dédiée.
 
Les propositions pourraient se traduire, notamment, dans une loi-cadre : pour le mathématicien, en effet, « une bonne loi, c'est une loi que vous n'avez pas besoin de réviser : il faudra travailler avec ce regard », surtout s’agissant d’une technologie qui évolue très vite.
 
Le secrétaire d’État chargé du Numérique précise, en outre, que « ce rapport, c'est n’est que le début d'une organisation autour de l'IA ».
 
Prochaine étape, maintenant, dans quelques jours, avec la remise au secrétaire d’État chargé du Numérique des premières conclusions de la CNIL sur la transparence des algorithmes…
 
 
Source : Actualités du droit