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Concurrence déloyale étrangère : le Groupement de routiers français demande « une souveraineté du fret national »

Transport - Route
09/02/2024
Alors que les derniers agriculteurs lèvent leurs récents barrages routiers, un collectif de transporteurs routiers, baptisé « Groupement de routiers français » (GRF), constitué fin 2023, prend le relais. Il veut dénoncer les conditions de concurrence déloyale européenne dans le secteur du TRM. Son porte-parole, Kévin Amory, revendique des mesures immédiates en matière de juste prix et voit GRF comme un regroupement de lanceurs d’alerte.
Bulletin des transports : Avec la création du collectif GRF, vous pointez du doigt les difficultés inhérentes aux TPE du transport et vous occupez le terrain en organisant des blocages. Pourquoi ?
Kévin Amory : Le collectif GRF est né en novembre 2023 à la suite de la vidéo d’un petit transporteur qui dénonçait un ras-le-bol généralisé dans sa profession. C’est devenu rapidement viral. Aussitôt, un petit groupe de TPE s’est solidifié pour déclencher une première mobilisation en décembre dernier. Une seconde mobilisation a eu lieu le 8 janvier 2024, elle se poursuit à nouveau la semaine du 5 février 2024 dans le département de l’Isère, autour des ronds-points de la zone logistique de Chesnes sur la commune de Saint-Quentin-Fallavier, à proximité de l’autoroute A 43.
Le positionnement du GRF s’inscrit dans la durée pour défendre les intérêts du secteur, à la différence des fédérations professionnelles comme la FNTR ou l’OTRE qui défendent des dossiers de fond, comme le rabotage du remboursement partiel de la TICPE, le déploiement des chronotachygraphes intelligents pour contrôler les temps de conduite et de repos. Le GRF revendique de son côté des mesures immédiates et d’urgence auprès des pouvoirs publics.  

BTL : Par exemple, quelles sont vos revendications précises ?
K.A. : La TICPE comme les chronotachygraphes sont des sujets qui ont un cycle long pour aboutir. La profession a été rattrapée depuis 2022 par une inflation généralisée en France, laquelle accentue davantage le fossé existant entre un chauffeur des pays d’Europe de l’Est et un chauffeur français. L’euro en France n’a pas la même valeur qu’en Roumanie ou en Bulgarie. Les conducteurs qui sont rémunérés 1500 € mensuels sont des « rois » là-bas. Le conducteur français est certes mieux rémunéré au-delà de 2000 € mensuels mais sa situation salariale se dégrade s’il est le seul revenu de la famille. Le mot d’ordre est d’agir sur les prix du marché du transport pour éviter de travailler à perte ou du moins d’accepter un prix qui ne valorise pas le trajet. Malheureusement, les conditions du marché sont telles que le transporteur français est obligé d’accepter ces conditions. Le prix ne correspond plus au coût de revient du conducteur.

BTL : Qu’avez-vous observé sur certains trajets qui vous paraît choquant ?
K.A. : Les tendances sont assez bizarres. Par exemple, pour un aller Lyon-Marseille, le prix de prestation se situe à 700-800 € ; pour un retour Marseille-Lyon, la prestation chute à 250-300 €. C’est une réalité malheureuse qui est aussi la conséquence d’une seule cause : les TPE ne récupèrent pas 100 % du fret français disponible. Dans une société utopique qui redonnerait 100 % du fret français à la population, la demande serait forte et contribuerait de facto à augmenter l’offre. Autre exemple révélateur, au cours de la journée d’action du 5 février à Saint-Quentin-Fallavier, nous avons recueilli des données intéressantes : sur 144 conducteurs routiers interrogés toutes nationalités confondues, seuls 7 % avaient été contrôlés.

BTL : Est-ce à dire que le collectif GRF ne se reconnaît plus dans les fédérations professionnelles aujourd’hui ?
K.A. : Les fédérations professionnelles ont leur légitimité et nous ne nous opposons pas à elles. Reste que les artisans transporteurs et les TPE ne se reconnaissent plus dans le discours national de la FNTR par exemple, qui revendique à la suite des blocages des agriculteurs le retour à la libre circulation des véhicules parce que ses adhérents sont à l’agonie. Au regard de la forte mobilisation des agriculteurs, comment est-ce possible qu’un adhérent FNTR puisse se retrouver à l’agonie ? Il y a une forme d’incohérence. Le GRF est en train de pointer l’extrême fragilité d’un collectif qui revendique aujourd’hui près de 200 membres. Nous avons sollicité les fédérations professionnelles mais elles n’ont pas souhaité rejoindre notre collectif. Le but de notre combat est justement de dire qu’il est anormal qu’une entreprise soit à l’agonie et qu’il lui reste dix jours pour tenir.

BTL : Au fond, quel est votre souhait pour consolider votre credo pour la profession ?
K.A. : Le marché du transport routier est fragile au sein de l’Union européenne. Nous prévoyons donc des actions de filtrages rigoureux des zones logistiques dans cinq endroits stratégiques en France, notamment en Bretagne, aux environs de Lyon, à Paris, dans le Sud-Est et à Toulouse. Et nous espérons avoir un rendez-vous avec un représentant du gouvernement en charge officielle de notre dossier. Nous avons envoyé des courriels début janvier 2024 au cabinet du ministre Clément Beaune, ils sont restés sans réponse. Le remaniement gouvernemental a sans doute bloqué les choses. Au fond, nous revendiquons une souveraineté du fret routier national. Notre objectif n’est pas d’atteindre des monts inaccessibles mais de créer un lieu de discussion concret avec les pouvoirs publics pour traiter de missions plus urgentes que le dossier TICPE !

Propos recueillis par Louis Guarino
Publié au Bulletin des Transports et de la Logistique n° 3960, 12 février 2024
Source : Actualités du droit