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Crise agricole et transport frigorifique : « Nous faisons jouer la débrouillardise »

Transport - Route
02/02/2024
Les blocages des agriculteurs depuis le 29 janvier pénalisent les flux routiers et la desserte des plateformes logistiques. Les Transports Galtier (Aveyron) n’échappent pas à la règle. Le dirigeant de l’entreprise, Patrick Galtier, enregistre un rallongement des temps de conduite et des surcoûts carburant. Il redoute des litiges futurs avec les clients et milite pour que le gouvernement gèle la taxation du GNR pour le transport frigorifique, comme il vient de le décider pour le monde agricole.
 
Bulletin des transports : Depuis le début des blocages des agriculteurs, quel est l’état des lieux pour votre entreprise ?
Patrick Galtier : Nous sommes solidaires des agriculteurs, même si notre profession n’est pas à leurs côtés sur les barrages. Depuis le 29 janvier, nous sommes perturbés et nous devons emprunter les déviations et autres chemins de traverse. C’était encore possible jusqu’au 31 janvier mais depuis la soirée de ce jour-là, les forces de l’ordre dévient nos véhicules pour les orienter vers des voies uniques. En conséquence, les embouteillages se multiplient. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a donné l’ordre de ne plus emprunter les chemins de traverse. Par exemple, pour livrer la plateforme Carrefour de Salon-de-Provence au départ de notre siège social de Roquefort-sur-Soulzon, le temps moyen de conduite est de 3 heures. En ce 1er février, il est désormais de 9 heures.  

BTL : Avez-vous une idée du préjudice économique subi ?
P.G. : Nous adaptons notre plan de transport en cherchant des alternatives, nous faisons jouer la débrouillardise. Mais il faudra rapidement quantifier le temps perdu par les conducteurs, les heures supplémentaires et le surcoût gazole (les véhicules consomment aujourd’hui 45 l/100 km au lieu de 27 l/100 km en temps normal). Sans compter les litiges futurs avec nos clients, spécifiques au transport frigorifique en cas de refus d’un chargement sur une plateforme de la grande distribution. Le contrat-type stipule que le transporteur n’est pas responsable en cas de force majeure. Si les blocages devaient s’inscrire dans la durée, la force majeure ne pourra plus être invoquée. Comment seront alors gérés les litiges ?

BTL : Concrètement, comment pilotez-vous votre entreprise depuis le 29 janvier ?
P.G. : Pour la filiale Transports Galtier, qui fait du gros et demi-gros, qui compte 50 véhicules pour approvisionner la France, les conducteurs perdent en moyenne 2 à 3 heures tous les jours. Cela pénalise nos coûts de revient, sur la base d’un coût moyen global estimé à 90 €/h. Pour la filiale Galdis, spécialisée dans la distribution de produits frais pour les départements de l’Aveyron et de la Lozère, les conducteurs ne sont pas impactés pour livrer. En revanche, c’est le volume qui manque, nous distribuons en moyenne 30 % de moins. Nous livrons 80 tonnes de marchandises chaque semaine dans Paris intra-muros aux brasseurs et restaurateurs parisiens mais nous ne sommes pas présents sur le Marché d’intérêt national (MIN) de Rungis. Pour monter à Paris, les conducteurs doivent éviter le premier barrage de Saint-Flour, puis le barrage de Gallargues. L’entreprise est certes perturbée pour rejoindre la région parisienne mais nos conducteurs peuvent circuler.


BTL : Quelle est la doctrine du vice-président de l’OTRE Aveyron que vous êtes, au regard de votre direction nationale ?
P.G. : Je ne suis pas toujours en accord avec les décisions prises au niveau national mais je me range toujours derrière la position majoritaire. Si la consigne est donnée de rejoindre les blocages, je ne serai pas d’accord à l’idée d’associer nos camions aux tracteurs des agriculteurs, mais je me rallierai toutefois au mot d’ordre.

BTL : Quelles sont les alternatives concrètes pour le secteur à court terme ?
P.G. : À mon sens, la profession a deux alternatives simples : soit les barrages sont levés et le sujet est clos, soit les blocages sont maintenus. Dans ce cas, les transporteurs peuvent décider de laisser leurs camions aux dépôts ; l’expérience montre que cela n’a jamais été concluant. N’oublions pas que certains adhérents OTRE ont les moyens de bloquer Rungis si le gouvernement n’apporte pas de réponses immédiates aux agriculteurs.

BTL : Quels sont les autres dossiers que vous portez dans l’Aveyron  ?
P.G. : Le hasard veut qu’une réunion était programmée de longue date dans l’agenda du préfet de l’Aveyron, Stéphane Giusti. Elle a eu lieu aujourd’hui (N.D.L.R. : l’interview a été faite le 1er février 2023) mais elle n’avait rien à voir avec les blocages des agriculteurs. Il s’agissait de faire remonter les problèmes structurels du TRM, notamment notre hostilité au rabotage du remboursement partiel de la TICPE. Nous avons ajouté au menu de la réunion le volet conjoncturel des blocages avec la levée de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR) accordé aux agriculteurs, à l’issue des annonces du Premier ministre le 26 janvier. Par cohérence, le gouvernement doit faire de même pour le transport frigorifique. Structurellement, nous demandons des avancées concrètes sur l’indexation gazole, notamment une meilleure transparence dans le mécanisme de répercussion auprès des chargeurs. Enfin, le gouvernement doit nous aider au regard des modalités d’application des indices calculés par le Comité national routier (CNR). C’est encore un sujet qui pose problème !

Propos recueillis par Louis Guarino
Publié au Bulletin des Transports et de la Logistique n° 3959, 5 février 2024
 
Source : Actualités du droit