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Démantèlement de Fret SNCF : « Un plan de discontinuité douloureux » selon le député David Valence

Transport - Fer
30/01/2024
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la libéralisation du fret ferroviaire propose un moratoire sur le plan de discontinuité du gouvernement. Un avis que ne partage pas le député Renaissance David Valence, qui présidait cette commission et qui milite en faveur d’un fléchage des recettes en direction d’opérations précises pour le ferroviaire.
Bulletin des transports : Quel regard portez-vous sur les 28 propositions rédigées par le rapporteur Hubert Wulfranc (1) ?   
David Valence : Je suis en désaccord avec nombre d’entre elles, comme celle de fixer un moratoire sur le plan de discontinuité proposé par le gouvernement français. Cela ferait courir un risque énorme dans les douze mois aux clients de Fret SNCF en leur disant : « Vous travaillez avec une entreprise mais on ne prépare rien pour la suite et elle va peut-être disparaître. »

BTL : Où situer les priorités pour le fret ferroviaire français ?
D.V. : Le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) que je préside a publié en 2023 une évaluation de la stratégie nationale pour le développement du ferroviaire, qui recommande notamment la prolongation de l’aide aux péages ferroviaires (50 %) et de celle au transport combiné, dans la perspective du plan de discontinuité de Fret SNCF qui sera effectif en juin 2024. Encore faut-il avoir la certitude que ces aides seront maintenues jusqu’en 2030. Les revalorisations annoncées par Clément Beaune (2) doivent être sécurisées.

BTL : Quel est votre avis sur le plan de discontinuité de Fret SNCF ?
D.V. : Le plan de discontinuité est très douloureux pour les salariés du fret mais il était la moins mauvaise des solutions, à défaut d’être une bonne solution. Nous parlons d’une enquête approfondie ouverte en janvier 2023 par la DG Concurrence à Bruxelles qui aurait donné lieu probablement à une décision dans la période de 18 à 24 mois qui suit. Avec un risque de condamnation et une obligation de discontinuité qui aurait pu être violente. Le gouvernement a vraiment pesé, en conscience, le pour et le contre. L’avenir des deux entités qui vont succéder à Fret SNCF reste incertain. D’abord pour celle qui sera l’entreprise ferroviaire, car la maintenance trouvera d’autres entreprises avec qui travailler. L’équilibre économique de l’entreprise ferroviaire au sens strict sera fragile. Outre le fonctionnement, il faut aussi parler de l’investissement pour les infrastructures, le réseau capillaire, la mise au gabarit. Il n’y a jamais eu autant d’argent public, il n’y a jamais eu autant d’envie des entreprises pour le ferroviaire et pas seulement dans le secteur des granulats, des céréales ou de la sidérurgie. Le plan de discontinuité arrive à un mauvais moment mais je ne vois pas comment on aurait pu faire autrement.

BTL : Qu’en est-il des 23 trains dédiés de Fret SNCF qui seraient confiés au transport combiné ?
D.V. : En réalité, 21 flux sont concernés et seront captés par le transport combiné. Je ne suis pas inquiet car ils ne seront pas remis sur la route, il y aura des solutions en sous-traitance, comme DB Cargo qui va en reprendre 7. Mais que se passera-t-il en 2027 ? Le groupe SNCF ne peut pas candidater dans une période de deux ans. Je redoute un ralentissement de l’essor du fret ferroviaire dans la mesure où les moyens humains consacrés à la sous-traitance ne seront pas consacrés à de nouveaux marchés.


BTL : Le rapport plaide pour une relance de l’écotaxe régionale pour financer le fret ferroviaire. Qu’en pensez-vous ?
D.V. : Il faut relancer le sujet pour rétablir une forme de concurrence plus juste avec le rail. Seule la région Grand Est envisage de le faire pour l’instant. Pour pérenniser les recettes de l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT), qui reposent aujourd’hui essentiellement sur la TICPE, il faut donc construire une programmation législative et disposer dans l’absolu d’un document engageant sur le budgétaire. Lorsque Elisabeth Borne a annoncé une enveloppe de 100 Md€, nous avons intuitivement compris que l’augmentation pour le ferroviaire serait de l’ordre de 1,5 Md€ renouvelés chaque année, même si ce n’est pas aussi net que cela. La taxe sur les infrastructures de longue distance adoptée dans le PLF 2024 est une recette affectée et fléchée vers l’AFIT. Il faut aller plus loin en visant des opérations précises. J’avais déposé à l’Assemblée nationale à l’automne dernier un amendement qui prévoyait de dédier 100 M€ sur les 600 M€ attendus à la modernisation du réseau. Le sénateur Philippe Tabarot avait déposé un amendement identique au Sénat. Ils ont été refusés.  

(1) La libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir. Rapport de la commission d’enquête. 28 recommandations. Tomes I et II.
(2) 200 M€ : c’est le soutien annuel que recevront les opérateurs du fret ferroviaire, de la part de l’État, à partir de 2025, avait annoncé Clément Beaune, ministre chargé des Transports en mai 2023. Actuellement fixée à 170 M€, cette enveloppe augmentera en effet de 30 M€ et sera sécurisée jusqu’en 2030 pour donner de la visibilité au secteur.

Propos recueillis par Louis Guarino
Bulletin des Transports et de la Logistique n° 3958, 29 janvier 2024

 
Source : Actualités du droit