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La Cour de cassation se penche sur le corollaire du principe d’identité des fautes contractuelle et délictuelle

Civil - Responsabilité
Affaires - Assurance
19/11/2020
Tout en profitant de l’occasion pour réitérer le principe de l’identité des fautes contractuelle et délictuelle, la Cour de cassation attire l’attention sur son corollaire : afin qu’un tiers puisse se prévaloir de l’inexécution contractuelle, la règle contractuelle violée dont il se prévaut doit être précisée tant dans son existence que dans son contenu.
En l’espèce, une société française a vendu à une société marocaine – Charaf – une cargaison d’engrais, assurée auprès d’Axa. Acheminée par la mer, il a été prévu que la cargaison parte du port de Saint-Pétersbourg pour arriver à celui de Jorf Lascar, au Maroc. Pour ce faire, un navire a été affrété auprès de la société Mahoney, l’armateur. Préalablement au départ de la Russie, le navire a été examiné par la société britannique Lloyd's Register of Shipping, une société de classification, chargée de certifier que le navire est en bon état.

Au cours du voyage, l’une des cales du bâtiment prend l’eau et le navire se réfugie dans le port de Brest où il est définitivement arrêté et sa cargaison cédée par adjudication. Dans le cadre de cette vente de sauvetage, les sociétés Charaf et Axa ont assigné en paiement de dommages-intérêts la société Mahoney et la société Lloyd's Register of Shipping.

Il est notamment reproché à la société Lloyd’s des manquements dans sa mission de classification lors des visites du navire, qui ont pu concourir à la réalisation du dommage. Plus particulièrement, selon la cour d’appel, l’expert désigné par Lloyds aurait agi en violation des règles de classification applicables en ne prescrivant pas d’inspection annuelle du navire. Ainsi, la cour d’appel de Rennes accueille favorablement les demandes d’Axa et de la société Charaf. La société britannique se pourvoit en cassation.

Il est fait grief à l’arrêt de cour d’appel de condamner les sociétés Lloyd’s et Mahoney in solidum alors « que seul un manquement au Règlement édicté par la société de classification qui fait la loi des parties et qui détermine les obligations des experts de la société de classification constitue une faute de nature à engager la responsabilité de cette dernière à l’égard de l’assureur de la marchandise transportée ». En d’autres termes, la cour n’aurait pas pris en compte les dispositions contractuelles qui liaient les sociétés Mahoney et Lloyds qui, pourtant, délimitaient les obligations de la société de classification en matière d’expertise du navire. Et cela alors même que « c’est à l’armateur [Mahoney] qu’il incombe en premier lieu de veiller au bon état de navigabilité de son navire ».

La Cour de cassation s’est montrée sensible à cette argumentation. Au visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, elle affirme qu’il « résulte de ce texte que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». La cour d’appel ne pouvait déclarer la société Lloyd’s responsable des dommages causés à la marchandise « sans préciser la règle, à laquelle elle se référait, ni son contenu, notamment quant aux critères relatifs à l’état du revêtement des ballasts entraînant l’obligation, pour la société de classification, d’ordonner une inspection annuelle de ces éléments ».

L’arrêt est intéressant d’abord en ce qu’il réitère le principe d’identité de fautes contractuelle et délictuelle tant décrié par une certaine partie de la doctrine. En effet, par un arrêt fort remarqué du début de l’année (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963), l’Assemblée plénière de la Haute juridiction a confirmé à la lettre près la solution dégagée dans l’arrêt Myr’Ho en 2006 (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255). Pour mémoire, selon ce principe, un tiers victime d’un préjudice causé par une inexécution contractuelle n’a pas à prouver une faute délictuelle indépendante d’un manquement au contrat.

Au-delà des vents et des marées doctrinaux que ledit principe risque d’attirer à nouveau, la cour met ici en valeur son corollaire indispensable. Si un tiers cherche à se prévaloir de l’inexécution de stipulations contractuelles, faut-il encore qu’il y ait inexécution. Les juges de cassation restent ainsi cohérents dans leur démarche : si l’on permet au tiers d’invoquer la violation d’une règle contractuelle, ni son existence ni son contenu ne peuvent être entourés d’incertitude.

S’il peut être tentant d’y voir une limite au principe ci-dessus rappelé, il ne s’agit en réalité que de sa conséquence logique, à laquelle les juges du fond et les tiers doivent faire attention. Il est certain qu’avec cet arrêt et celui du 13 janvier précité - et n’en déplaise aux belles plumes juridiques - les hauts magistrats n’entendent pas faire couler le principe d’identité des fautes contractuelle et délictuelle de sitôt. 
 
Source : Actualités du droit