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Responsabilité du fait des produits défectueux : après l’affaire du Roundup, celle du Lasso …

Civil - Responsabilité
05/11/2020
La Cour de cassation vient de retenir la responsabilité de la société Monsanto, productrice de l’herbicide Lasso, reconnu défectueux.
Les faits et la procédure. En avril 2004, un agriculteur acquiert l’herbicide Lasso, désherbant sélectif à maïs, auprès d'une coopérative agricole qui l’a elle-même acheté à la société Monsanto deux ans plus tôt (commercialisé depuis 1968 et retiré du marché en 2007). En ouvrant la cuve de traitement du pulvérisateur de cet herbicide, il en inhale accidentellement les vapeurs.  Il assigne le géant de l’agro-alimentaire en réparation de son préjudice corporel. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 11 avril 2019, rendu sur renvoi après cassation (Cass. ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651, v. ci-dessous, Pour aller plus loin), déclare ce dernier responsable sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du Code civil.

La société Monsanto se pourvoit en cassation. Elle conteste :
  • l’application de ces dispositions et, plus particulièrement, la date de mise en circulation du produit à prendre en compte (L. n° 98-389, 19 mai 1998, applicable aux produits mis en circulation après le 22 mai 1998) ;
  • la qualification de « producteur » ;
  • le lien causal entre l’administration du produit et le dommage, c'est-à-dire le réseau d’indices relevé par la cour d’appel; invoquant, quant à elle, notamment, la manipulation d’un autre désherbant, un état d’inquiétude et une hypersensibilité de nature phobique aux produits sanitaires de l’agriculteur, l’absence d’étude effective réalisée sur l’homme relative à l’effet des deux principales substances composant le produit litigieux ;
  • la défectuosité du produit.
La solution. Ce pourvoi est rejeté dans tous ces moyens.

1 Date de mise en circulation du produit : la commercialisation du lot
Le dispositif de la responsabilité des produits défectueux (C. civ., art. 1386-1 et s., devenus art. 1245 et s., issus de la loi n° 98-389, 19 mai 1998) s’applique aux produits mis en circulation après le 22 mai 1998. La Cour de cassation rappelle que « Aux termes de l’article 1386-5, devenu 1245-4, du Code civil, un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement et ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation ». La date de mise en circulation du produit s’entend donc, « dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il faisait partie (à propos du Médiator : Cass., 1re civ., 20 sept. 2017, n° 16-19.643, Bull. civ. I, n° 193) ». La cour d’appel a « retenu, à bon droit, que la mise en circulation du produit correspond à l’entrée dans le processus de commercialisation ». L’herbicide acquis par l’agriculteur en avril 2004 avait été livré en juillet 2002 à la coopérative agricole par la société Monsanto agriculture France, qui n’apporte aucun élément de preuve relatif à un stockage du produit de longue durée en son sein. La Haute juridiction approuve la cour d’appel d’avoir déduit des faits « que le produit avait été mis en circulation par son producteur postérieurement au 22 mai 1998 et que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux était dès lors applicable ».

2 Qualification de producteur
La cour d’appel avait relevé que l’étiquette du produit mettait en avant la société Monsanto agriculture France (mention « un herbicide Monsanto », adresse du siège social et numéro d’inscription au registre du commerce et des sociétés). Elle « a pu en déduire qu’elle devait être assimilée au producteur ».

3 Eléments de preuve du lien de causalité
La cour d’appel a ensuite considéré que les éléments de preuve apportés (témoignage de l’état de l’agriculteur, compte-rendu d’hospitalisation pour inhalation de produits toxiques, attestation du médecin du travail, référent départemental du réseau Phyt’attitude, d’avoir reçu un appel des urgences pour une demande de renseignement sur la toxicité du Lasso, expertise concluant à une atteinte neuronale et du tractus respiratoire ainsi qu’un stress post-traumatique)  constituaient des indices graves, précis et concordants. Elle en a déduit que le lien de causalité entre l’inhalation du produit et le dommage survenu était bien établi.

4 Défectuosité du produit : de l’importance de l’étiquetage
La cour d’appel « a pu déduire qu’en raison d’un étiquetage ne respectant pas la réglementation applicable et d’une absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs, le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et était dès lors défectueux ».

5 Absence d’exonération ou de réduction de responsabilité
Le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut (C. civ., art. 1386-11, 4°, devenu 1245-10, 4° ; v. également CJUE, 29 mai 1997, Commission / Royaume-Uni, Aff. n° C-300/95, Rec., 1997, p. I-2649). « L’arrêt relève que les réglementations sur le fondement desquelles l’existence d’un défaut a été retenue ainsi que la fiche toxicologique établie par l’INRS en 1997 précitée établissent qu’en juillet 2002, la société Monsanto agriculture France avait toute latitude pour connaître le défaut lié à l’étiquetage du produit et à l’absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux ». La cour d’appel a déduit, à bon droit, sans avoir à procéder à un nouvel examen de la date de mise en circulation du produit, que la société ne pouvait bénéficier de cette exonération de responsabilité.

Par ailleurs, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable (C. civ., art. 1386-13, devenu 1245-12). « L’arrêt retient que M. X... a inhalé des vapeurs de Lasso, après avoir introduit son visage dans la cuve, que si, comme l’invoquait la société Monsanto, il ne portait pas de protection destinée à éviter un contact du produit sur le visage, en tout état de cause, une telle protection aurait été inefficace en cas d’inhalation, en l’absence d’appareil de protection respiratoire. » La faute de l’agriculteur, alléguée par Monsanto, était sans lien de causalité avec le dommage.
 
Pour aller plus loin
- Concernant l'arrêt de la chambre mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651, v. notre site Internet Actualitesdudroit.fr, 11 juill. 2017, Obligation pour le juge de relever d’office le moyen tiré de l’application de la directive sur les produits défectueux, J. Labasse.
- Le Lamy droit de la responsabilité, nos 450-1 et s.
- Le Lamy Droit du contrat, nos 1762 et 2421.
- Le Lamy Assurances, nos 2314 et s.
Et le commentaire détaillé de cette décision dans un prochain numéro de la Revue Lamy Droit civil.
Source : Actualités du droit