Compatibilité des droits exclusifs conférés à Enedis et EDF avec le droit de l’Union européenne

Public - Droit public des affaires
30/07/2020
Par son arrêt du 10 juillet 2020 (n° 423901), le Conseil d’État valide le monopole des gestionnaires de réseau de distribution d’électricité (GRD) ainsi que celui d’EDF, pour sa mission de fourniture aux tarifs réglementés de vente.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

Cet arrêt signe la fin d’un contentieux lyonnais, inauguré par la contestation de Mme Chichereau, usagère du service public et élue municipale, de la délibération du conseil municipal de Lyon, en date du 19 novembre 2012. Elle approuvait, notamment, l’avenant n° 4 au contrat de concession pour le service public de la distribution d’énergie électrique et la fourniture de celle-ci aux tarifs réglementés de vente (TRV), prolongeant de cinq ans la durée de la concession.
 
À l’appui de sa demande d’annulation de la délibération, la requérante discutait du monopole des sociétés Enedis et EDF, prévu aux articles L. 111-52 et L. 121-5 du Code de l’énergie, respectivement en charge – à l’intérieur de leur zone de desserte exclusive – de la distribution d’électricité sur le réseau public (soit 95 % du territoire métropolitain continental) et de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente.
 
Au soutien de ces prétentions, elle se fondait notamment sur les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement du l’Union européenne (TFUE), auxquels il était, selon elle, porté atteinte, ainsi qu’à leur interprétation jurisprudentielle. Dès lors, conclure l’avenant sans que celui-ci ne soit précédé de mesures de publicité et de mise en concurrence constituait un manquement au respect du droit de l’Union.
 
Le tribunal administratif (jugements nos 1300440 et 1303542 du 31 décembre 2015) puis la cour administrative d’appel de Lyon (arrêt n° 16LY00912 du 5 juillet 2018) avaient rejeté les demandes de la requérante qui s’est cependant pourvue en cassation.
 
Publicité et mise en concurrence : dispense accordée pour les concessions de distribution publique d’électricité et leurs avenants
 
Par son arrêt Telaustria, du 7 décembre 2000 (CJCE, 7 déc. 2000, aff. C-324/98, Telaustria), la Cour de justice des communautés européennes énonce que l’attribution des concessions de service public doit obéir aux règles fondamentales du Traité instituant la Communauté européenne, à l’instar du principe de non-discrimination et de liberté d‘établissement (principe qu’elle confirmera plus tard, dans un arrêt du 21 juillet 2005, aff. C-231/03, Coname). Toutefois, eu égard au monopole législatif dont bénéficient les sociétés EDF et Enedis en vertu des articles L. 111-52 et L. 121-5 précités, ces dernières ont, dans les faits, la qualité de « concessionnaire obligé » (Jean-Marie Auby1). À ce titre, aucune mesure de publicité ni de mise en concurrence ne saurait s’appliquer aux concessions de service public de la distribution et de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente.

En l’espèce, le Conseil d’État, reprenant un raisonnement identique à celui de la cour administrative d’appel, confirme l’existence de droits exclusifs justifiés par l’existence de SIEG et en ce qu’une mise en concurrence serait de nature à faire échec à l’accomplissement des missions des deux entreprises. Ainsi, il valide tout d’abord le principe selon lequel elles doivent être regardées comme « chargées de la gestion de services d’intérêt économique général » (paragraphe 2 de l’article 106 du TFUE). En ce sens, il identifie les missions des sociétés ENEDIS et EDF, telles que prévues par la directive du 13 juillet 2009 et les articles L. 121-1 à L. 121-5 du Code de l’énergie (notamment en charge, pour la première, du « développement équilibré de l'approvisionnement en électricité » ou encore de « la desserte rationnelle du territoire » et, pour la seconde, de concourir « à la cohésion sociale, au moyen de la péréquation nationale des tarifs »). À l’issue de quoi la Haute juridiction constate simplement que la cour administrative d’appel de Lyon n’a pas commis d’erreur de droit en énonçant que ces missions relevaient de SIEG. Ensuite, le Conseil d’État observe que ces derniers imposent aux deux entreprises des obligations et sujétions justifiant le recours à des droits exclusifs, l’obligation de transparence étant en effet susceptible de faire échec à l’accomplissement de leurs missions. La cour administrative d’appel de Lyon précisait, à cet égard, qu’une mise en concurrence permettrait « à des entreprises insusceptibles d’offrir les garanties techniques ou financières nécessaires d’obtenir la concession ».
 
Des droits exclusifs admis ad vitam aeternam ?
 
Bien qu’ayant validé la position de la cour administrative d’appel de Lyon énonçant que n’était pas excessive la prolongation de cinq ans de la durée de la concession – car conforme aux conditions de l’article 24 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 – les juges du Palais royal ne se sont pas prononcés sur la durée de désignation des gestionnaires des réseaux de distribution (GRD). Le Conseil d’État a en effet considéré qu’il ne lui appartenait pas d’y répondre, la question n’ayant pas été soulevée en appel par la requérante.
 
Certes, nous pourrions regretter que la Haute juridiction ne se soit pas exprimée sur l’absence de toute mention de la durée de désignation des GRD dans le Code de l’énergie. Mais la cour administrative d’appel de Paris en 2013 (décision n° 12PA00593) comme la cour administrative d’appel de Lyon dans l’affaire qui nous concerne, apportent un éclairage en considérant que, dès lors que l’autorité concédante fixe une durée à la concession de distribution d’électricité, le caractère permanent des droits exclusifs accordés aux GRD « est sans incidence sur leur compatibilité » avec le droit européen. C’est d’ailleurs ce qu’a conclu le rapporteur public de la décision sous commentaire, constatant que, bien qu’aucune durée de désignation ne figure dans le Code de l’énergie, celle-ci est néanmoins présente au sein des différents contrats de concession.
 
Par Alexandre CARNAT, étudiant du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

(1) J.-M. Auby, La notion de concession et les rapports des collectivités locales et des établissements publics de l’électricité et du gaz dans la loi du 8 avril 1946, Dalloz, 1949
Source : Actualités du droit