Assurance-vie en unités de compte : précisions sur la condition de la protection suffisante de l’épargne

Affaires - Assurance
29/07/2020
Il résulte des travaux préparatoires qui ont donné lieu à l’élaboration de l’article L. 131-1 du Code des assurances que les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du Code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne.
 
Prétendu manquement à l’obligation d'information et de conseil
Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, une personne réalise, via un contrat d’assurance vie libellé en unités de compte, un placement financier. Ledit contrat a été souscrit par l'intermédiaire d’un courtier, auprès d'un assureur en 1997. En 2016, le souscripteur procède à l'arbitrage de l'intégralité des sommes ainsi investies sur un unique support, dénommé « Optimiz Presto 2 ».

On notera d’emblée que ce support est un ensemble d’obligations « complexes » - titres de créance EMNT - dont la valeur est indexée sur la performance d'un panier d'actions et est assortie d'un mécanisme de maturité anticipée qui expose l'investisseur à un risque de perte des sommes investies. En d’autres termes, la valeur de ces obligations varie en fonction de performance d’un indice qu’est la performance d’un panier d’actions sous-jacentes.

Déçu de la mauvaise performance de ce support, le souscripteur reproche à l'assureur, et au courtier, d'avoir manqué à leur obligation d'information et de conseil et assigne ces derniers en paiement de dommages-intérêts. La cour d’appel le déboute de ses demandes et le souscripteur se pourvoi en cassation.

La thèse du souscripteur au soutien de son pourvoi est la suivante. Aux termes de l’article L. 131-1 du Code des assurances « en matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'État ». La liste en est dressée aux articles R. 131-1 et R. 332-2 du Code des assurances qui intégre, notamment, les obligations. En même temps, l’article L. 213-5 du Code monétaire et financier dispose que « les obligations sont des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale ». En d’autres termes, selon le demandeur au pourvoi, une obligation « classique » implique le remboursement du capital investi et donc une protection du capital, contrairement à une obligation « complexe », un produit financier structuré, qui n’en implique pas.

Or, soutient le souscripteur, l’obligation « Optimiz Presto 2 » lui a été commercialisée en tant qu’obligation « classique », alors qu’elle est en réalité « complexe », ce qui la rend inéligible en tant que support financier aux termes des articles R. 131-1 et R. 332-2 précités. Par corolaire, cette obligation « complexe » n’offrait pas de protection d’épargne suffisante aux termes de l’article L. 131-1 du Code des assurances. Ainsi l’assureur et le courtier doivent entre condamnés pour le manquement à leur obligation d'information et de conseil.

Condition de la protection suffisante de l’épargne
Cette argumentation n’est pas au goût de la Cour de cassation. Elle commence par rappeler qu’effectivement « Selon l'article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, en matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'État ». Mais que, poursuivent les magistrats, « Il résulte de ce texte, interprété à la lumière des travaux préparatoires de la loi n 92-665 du 16 juillet 1992, que les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne prévue par ce texte ». Enfin, les articles R.131-1 et R.332-2 comportent bien les obligations négociées sur un marché reconnu en tant qu’unités de compte comme les supports éligibles au contrat d’assurance-vie en unités de compte.

Ainsi, c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que « le produit Optimiz Presto 2 s'analysait en une obligation au sens de l'article L. 213-5 du code monétaire et financier, soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l'absence de garantie de remboursement intégral du capital, puis relevé qu'il avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2 2 du code monétaire et financier et que sa liquidité effective était établie par cinq mille deux-cent-vingt négociations par les clients de la société Generali vie, intervenues de 2007 à 2013 ».

Notion de la protection suffisante de l’épargne
Cette solution s’inscrit dans une désormais longue série des décisions - aux mutiples rebondissements. On se rappellera de la décision de la Cour d’appel de Paris qui a beaucoup émue la doctrine après avoir décidé de l’inéligibilité des obligations complexes aux supports d'unités de compte (CA Paris, pôle 2, ch. 5, 21 juin 2016, n° 15/00317). Il a été notamment relevé, contrairement à ce que les juges d’appel ont pu affirmer, que l'article R. 332-2 ne distingue pas selon la complexité des obligations qu'il mentionne : en effet, l’article ne discrimine pas les obligations selon qu’elles sont « classiques » ou « complexes ». Ensuite, l’article L. 213-5 du Code monétaire et financier ne fait pas mention d’une quelconque garantie en capital lorsqu’il donne la définition de l’obligation. Qui plus est, compte tenu de la nature particulière de contrat, l’évolution du sous-jacent, qui détermine la valeur de l’obligation, exclue la restitution par équivalent.

La Cour de cassation s’est alors empressée de casser ce raisonnement qui induirait, si confirmée, des conséquences financières potentiellement désastreuses. Au visa des articles « L. 213-5 du code monétaire et financier et L. 228-38 du code de commerce, ensemble les articles R. 131-1 et R. 332-2 du code des assurance » la deuxième chambre civile a solennellement affirmée que « la qualification d’obligation n’est pas subordonnée à la garantie de remboursement du nominal du titre ».

Cette solution est logique car les titres obligataires ne sont pas assimilables à un simple emprunt et a fortiori certaines opérations de financement, qui, bien que se reposant sur les titres obligataires, n’impliquent pas le remboursement au nominal (les CDO, Collateralized Debt Obligations, par exemple).

Or, quid du « principe de protection suffisante de l’épargne » contenu à l’article L. 131-1 du Code des assurances qui n’est ni précisée par le Code, ni par la jurisprudence ? Un an plus tard, la cour d’appel de Bordeaux a pu affirmer que « la complexité d'un produit financier n'implique pas nécessairement une incompatibilité avec le principe de protection suffisante de l'épargne » (CA Bordeaux, 1 civ., 26 Juin 2018, n° 16/03921).

La présente décision réconforte et approfondie cette position. La Cour de cassation se réfère aux travaux préparatoires de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992 pour en déduire l’intention du législateur selon laquelle « les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne prévue par ce texte [L. 131-1 du Code des assurances] ». En effet, la lecture des travaux préparatoires fait ressortir une divergence entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le contenu de l’article 16 de la loi, devenu ensuite l’article L. 131-1 précité. Si la lecture sénatoriale a fait introduire la « notion de garantie de la protection de l'épargne investie », l’Assemblée nationale avait « remplacé la notion de "garantie" par celle de "protection suffisante", et ce afin d'éviter toute référence à une notion de garantie de rendement des titres », « qui aurait pu laisser croire à une obligation de rendement » et gardée dans le texte définitif. La généralité de la formule employée par la cour vise bien toutes les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 et coupe court à d’éventuels contentieux semblables. Ce faisant, la Cour de cassation contourne la difficulté de la définition de la notion de la protection suffisante de l’épargne qui est remplie dès lors que la valeur mobilière ou l’actif en question figurent à l’article R. 131-1.

Cet arrêt illustre la complexité des solutions jurisprudentielles liées à l’assurance en unités de compte à trois égards.
D’abord parce qu’il s’agit d’un contrat hybride qui comporte des composantes relevant tant du droit des assurances que du droit financier.

Ensuite, car il y a nécessairement un arbitrage à faire entre la protection des clients (consommateurs), une préoccupation majeure du droit contemporain, et les intérêts économiques des établissements financiers, qui, dans une économie moderne, ne le sont pas moins.

Enfin, parce que les solutions rendues en la matière, malgré la complexité, doivent préserver une cohérence juridique.

La cohérence que la Cour cessation parvient à conserver en l’espèce.
 
Source : Actualités du droit