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Validité de l’expulsion d’un immigré délinquant multirécidiviste établi de longue date dans son pays d’accueil

Public - Droit public général
31/10/2018
Dans une décision du 23 octobre 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) approuve l’expulsion d’un immigré délinquant multirécidiviste établi de longue date (depuis 30 ans) au Danemark, vers son pays d’origine avec lequel il n’a aucune autre attache que la nationalité.
Le requérant, ressortissant croate, était arrivé au Danemark avec sa famille, venue des Pays-Bas, alors qu’il n’était âgé que de neuf mois. Il a grandi au Danemark et a été condamné pénalement quatre fois lorsqu’il était mineur, notamment pour vol à main armée et infractions en matière de stupéfiants. Majeur, il a encore été condamné plusieurs fois et a fait l’objet d’une décision d’expulsion, dont l’exécution a été suspendue. Alors qu’il était en liberté conditionnelle et toujours visé par la décision d’expulsion suspendue, il a été arrêté pour des chefs de vol à main armée et de détention d’armes. Les juridictions internes ont alors ordonné son expulsion, assortie d’une interdiction définitive du territoire. Expulsé en 2017, le requérant est revenu peu après au Danemark, en violation de l’interdiction prononcée.

Estimant cette expulsion contraire à l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH), le requérant porte son cas devant la CEDH. Celle-ci doit trancher sur le fait de savoir si une telle expulsion, prononcée à l’encontre d’un immigré établi de longue date dans son pays d’accueil, vers son pays d’origine, avec lequel il n’a aucun autre lien que sa nationalité, est valide.

Droits du requérant vs intérêt général

Le requérant affirmait que l’État danois, en l’expulsant vers la Croatie, commettait une violation de son droit à la vie privée et familiale garanti par la CESDH, en raison de plusieurs facteurs. Il invoquait d’abord le fait que toutes ses attaches étaient au Danemark, (sa famille, sa petite amie qu’il souhaitait épouser, ses précédents emplois), pays dans lequel il avait vécu toute sa vie et où habitait toute sa famille. Il précisait également qu’il n’était jamais allé en Croatie et n’avait aucune famille dans ce pays dont il ne parlait pas la langue. Il déclarait, enfin, qu’il était aussi bien intégré que n’importe quel ressortissant danois condamné pénalement et que les infractions perpétrées par lui n’étaient pas particulièrement graves.

L’État danois, quant à lui, soutenait que la décision d’expulsion poursuivait un but légitime et que les tribunaux internes avaient ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général et les droits du requérant.

La CEDH rappelle que les États ont le droit de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire et ont le droit d’expulser les étrangers reconnus coupables d’une infraction pénale, à la condition que cette expulsion et l’interdiction de séjour assortie respectent l’article 8 ainsi que la jurisprudence de la cour. Dans plusieurs arrêts (notamment CEDH, 18 oct. 2006, aff. 46410/99, Üner c/ Pays-Bas et CEDH, 23 juin 2008, aff. 1638/03, Maslov c/ Autriche), elle a en effet dégagé une liste de critères permettant de déterminer si une expulsion et une interdiction de séjour, qui doivent être appliquées pour des « raisons très sérieuses », étaient bien nécessaires et proportionnées. La cour recherche donc dans cette affaire si l’expulsion contestée répondait bien à ces critères jurisprudentiels.

Expulsion valide au vu des circonstances

La Cour européenne juge qu’en l’espèce, c’est à bon droit que les autorités danoises ont conclu que les infractions commises par le requérant justifiaient son expulsion. Elle relève que les autorités nationales avaient bien mis en balance les différents intérêts en présence en retenant notamment que :
– l’atteinte aux droits familiaux n’est pas caractérisée, du fait que le requérant est adulte, n’a pas d’enfants et n’a pas de liens de dépendance avec ses frères, sœurs et parents ;
– au vu de son casier judiciaire et du mépris qu’il manifestait à l’égard de la loi, le requérant n’était manifestement pas bien intégré, socialement et culturellement, à son pays d’accueil.

En outre, le moyen invoqué par le requérant, appuyé par le Centre européen des Droits des Roms, selon lequel le processus décisionnel aurait été influencé par des stéréotypes concernant les Roms, est également rejeté par la cour.

Pour la CEDH, tous ces éléments sont pertinents et suffisants pour justifier l’expulsion du requérant vers son pays d’origine. Elle juge donc à l’unanimité que l’expulsion en cause, au vu des circonstances décrites, n’est pas disproportionnée et ne constitue pas une violation de la Convention.
Source : Actualités du droit