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Projet de loi Justice : les arbitrages numériques de la commission des lois du Sénat

Tech&droit - Start-up, Données
04/10/2018
La commission des lois du Sénat a adopté, le 3 octobre, plusieurs amendements concernant le pan numérique du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. En jeu : l’encadrement des plateformes d’offre en ligne de résolution des conflits et, de nouveau, l’open data des décisions de justice.
Amélioration de la protection de la vie privée des personnes citées dans une décision de justice, garanties à offrir au justiciable. Tels sont les deux axes qui ont conduit le Sénat à modifier le texte du gouvernement.
 
Nouvelle neutralisation de l’open data des décisions de justice
Concilier publicité des décisions de justice et droit au respect de la vie privée : un dilemme politique et technologique qui refait surface avec l’examen du projet de loi de programmation pour la justice. Et visiblement Assemblée nationale et Sénat ne sont toujours pas sur la même ligne.
 
Déjà, au printemps dernier, les débats autour du vote du projet de loi sur la protection des données (L. n° 2018-493, 20 juin 2018), avaient révélé une passe d’arme sur la définition des garanties de nature à encadrer l’open data des décisions de justice (v. Retour à la case closed data, Adoption par le Sénat du projet de loi sur la protection des données personnelles : les modifications votées, Actualités du droit, 22 mars 2018). Les sénateurs avaient alors souhaité réécrire les articles L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire (COJ) et L. 10 du Code de justice administrative afin de prévenir tout risque d’atteinte à la vie privée des personnes et à l’indépendance de la justice.
 
Bis repetita in idem avec le projet de loi Justice. Les sénateurs viennent d’adopter un amendement (amendement COM-234) qui modifie la rédaction de l’article 19  pour relever le niveau de protection  de la vie privée d’un certain nombre d’acteurs et garantir l’anonymat des magistrats :
  • « Les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision sont occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage » (COJ, art. L. 111-13, tel que modifié par le projet de loi déposé par le gouvernement) ;
  •  « Les modalités de cette mise à disposition garantissent le respect de la vie privée des personnes mentionnées dans la décision et préviennent tout risque de ré-identification des magistrats, des fonctionnaires de greffe, des parties et de leur entourage et de toutes les personnes citées dans la décision, ainsi que tout risque, direct ou indirect, d’atteinte à la liberté d’appréciation des magistrats et à l’impartialité des juridictions » (COJ, art. L. 111-13, tel que modifié par l’amendement COM-234 adopté par le Sénat le 3 octobre).
 
L’évolution est la même pour l’article L. 111-13 du COJ. Les personnes à protéger sont, comme au printemps dernier, les magistrats, les fonctionnaires de greffe, les parties et les personnes citées dans la décision. Avec une nouveauté, néanmoins : l’extension de cette protection à l’entourage des parties, catégorie au demeurant aussi large que vague.
 
Des dispositions qui, dans les faits, enterrent l’open data. Rappelons qu’en mars dernier, lors des débats au Sénat,  la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait bien mis en perspective les conséquences d’un tel niveau de garantie : « cette réécriture a pour effet d'empêcher l'open data des décisions de justice : si une prévention absolue du risque de réidentification est imposée par la loi, l'open data des décisions de justice ne pourra tout simplement pas être assurée » (v. Sénat, Compte rendu de séance du 20 mars 2018). Ce qui présage donc de nouvelles discussions à l’Assemblée nationale…
 
Plus de garanties autour de l’offre en ligne de résolution extrajudiciaire des différends
« Sur la dématérialisation des procédures, nous y sommes favorables, il n’y a pas de doute », a indiqué François-Noël Buffet, sénateur du Rhône (Les Républicains), vice-président de la commission des lois, « mais nous disons simplement, attention, veillons aux garanties et veillons aussi à ce que le justiciable puisse avoir accès à son juge ».
 
Dix amendements avaient été déposés pour modifier la rédaction de l’article 3. Deux seulement ont été adoptés :
  • l’amendement COM- 231 : vise à mieux distinguer les obligations applicables aux plateformes proposant des services en ligne de conciliation ou de médiation et celles applicables aux plateformes proposant des services en ligne d’arbitrage. Il précise la règle excluant que de tels services puissent exclusivement résulter d’un traitement par algorithme. Et, enfin, il prévoit l’encadrement des plateformes proposant des services en ligne d’aide à la saisine des juridictions, en précisant notamment que ces services ne peuvent pas conduire à réaliser des actes d’assistance ou de représentation sans le concours d’un avocat.  
  • l’amendement COM-232 : vise à rendre obligatoire la certification pour permettre d’offrir au public un service en ligne de résolution amiable des litiges, d’arbitrage ou d’aide à la saisine des juridictions, afin de prévoir de réelles garanties pour les justiciables. Pour la même raison, il prévoit que la certification devra être réalisée par le ministère de la Justice lui-même, et non par des organismes certificateurs accrédités par le Cofrac.

La commission des lois a donc renforcé l’encadrement des services en ligne de résolution amiable des litiges (certification obligatoire), tout en l’étendant aux services d’aide à la saisine des juridictions : « on veut que les plateformes soient certifiées par un organisme indépendant pour s’assurer que la procédure telle qu’elle est mise en place respecte tout le monde, à la fois celui qui demande mais également celui qui doit se défendre » a insisté François-Noël Buffet, souhaitant que le ministère de la Justice prenne en charge cette certification. Après celui attendu depuis presque deux sur l'open data, un nouveau beau décret en perspective... Prochaine étape, la séance publique, à partir du 9 octobre prochain.
Source : Actualités du droit