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Loi PACTE et preuve blockchain : premier petit pas vers une reconnaissance par le Parlement ?

Tech&droit - Blockchain
13/09/2018
Un amendement à l’article 40 du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) proposait de modifier l’article 1358 du Code civil, afin de reconnaître une valeur légale à l’empreinte d’un document ancré sur la blockchain.
La création d'un régime juridique pour encadrer les initial coin offerings est très loin d'épuiser toutes les problématiques juridiques soulevées par cette technologie. Illustration avec la question de la reconnaissance de la valeur probatoire d'une empreinte blockchain.

Modalités possibles d’entrée de la blockchain dans le Code civil
Un amendement à l'article 40 de la loi PACTE (TA AN n° 1088, 2017-2018 ; amendement n° 1317) suggérait ainsi d’ajouter à l’article 1358 du Code civil un alinéa, dont la rédaction serait la suivante : « À cet effet, tout fichier numérique enregistré dans un dispositif électronique d’enregistrement partagé (DEEP), de nature publique ou privée vaut preuve de son existence et de sa date, jusqu’à preuve contraire, dès lors que ledit DEEP répond à des conditions définies par décret ». Ce décret en Conseil d’État devait fixer les contours et les conditions de cette présomption de preuve, en assurant un contrôle par l’État des qualités essentielles que devront présenter les DEEP pour en bénéficier.

Relevons que le rapport de France stratégie sur les enjeux des blockchains (France stratégie, Les enjeux des blockchains, 21 juin 2018) soulignait, dans le même sens, en juin dernier, la nécessité de clarifier la valeur de preuve d’une inscription sur une blockchain (en distinguant blockchain privée, dans laquelle une convention sur la preuve est possible, et blockchain publique) : « Après une phase où il était nécessaire de laisser se déployer les initiatives pour faciliter l’innovation, les inconvénients de l’insécurité juridique prennent le pas sur les avantages ». Il proposait une évolution en deux temps : « À court terme, il est possible d’adopter une réforme visant à renforcer, dans le Code civil, la force probante des informations figurant sur une blockchain (…). Dans une perspective de plus long terme, il faudra engager une réflexion devant aboutir à la révision du règlement eIDAS afin de reconnaître pleinement la fiabilité de la signature électronique et de l’horodatage sur la blockchain sans intervention d’un tiers certificateur ». Ce rapport suggérait ainsi la modification de l’article 1362 du Code civil, par ajout d’un quatrième alinéa prévoyant que « l’écrit électronique enregistré dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé répondant à des caractéristiques prévues par décret en Conseil d’état tient lieu de commencement de preuve par écrit ».

Précisons tout d’abord que le DEEP est le nom officiel, en France, des distributed ledger technology (DLT), technologie à laquelle appartient la blockchain (IOTA, par exemple, est un autre type de DLT).

Si l’article 26 de la loi PACTE prévoit un cadre de régulation qui se veut favorable à la crypto-économie (sur ce sujet, v. Initial coin offering (ICO) : ce que prévoit le projet de loi PACTE, Actualités du droit, 21 juin 2018), à ce stade, aucun article n’est prévu pour assurer la sécurité juridique d’autres types d’applications blockchain. Un certain nombre de start-up ou de professionnels (v., par exemple, Blockchain, POC en vue chez les notaires, Actualités du droit, 11 sept. 2018 ; v. Fauchoux V. : « En matière de propriété intellectuelle, la blockchain présente l’avantage de couvrir toute la zone de l’avant-brevet », Actualités du droit, 16 oct. 2017), proposent, par exemple, d’ancrer des documents sur la blockchain.

Concrètement, les services qu’ils proposent visent à favoriser la pré-constitution de preuves, afin de pouvoir garantir l’antériorité d’une œuvre, la répartition des droits en cas d’œuvre collective, ou, encore, d’aider à déterminer des responsabilités en matière de supplychain. Mais sécurité technologique ne rime pas, de plein droit, avec sécurité juridique. Bien malin, en effet, qui peut prédire comment un juge recevra ce type de preuve.

Cet amendement tendait donc à encourager et protéger ces expérimentations. Il devait lever les craintes sur la valeur juridique des échanges ou des solutions qu’elles proposent, l’objectif étant, bien évidemment, d’éviter de longues, fastidieuses et coûteuses expertises judiciaires.

Un premier pas, pour l’heure, non concluant

Premier pas timide, puisque finalement l’amendement a été retiré avant sa discussion au vu, notamment, des avancées promises par le ministre de l’Économie sur l’accès aux comptes et l’ouverture de la régulation au marché secondaire pour les entreprises développent des activités à partir de la technologie blockchain (v. ICO : les points qui pourraient évoluer en séance, Actualités du droit, 13 sept. 2018).

L’un des auteurs de cet amendement, Jean-Michel Mis, reste cependant vigilant et manifeste son intention de continuer à porter l’attention du gouvernement sur la nécessité d’une évolution du Code civil sur cette problématique, qu’il faudra bien traiter un jour : « Ma mobilisation sur ces questions reste entière. Les normes permettant le développement et l'encadrement de ces protocoles ne sont pas encore écrites : la France a la possibilité de faire valoir sa vision. Il en va de sa souveraineté ».

Les discussions avec le gouvernement semblent donc se poursuivre. La séance publique révélera plus précisément l’intention du législateur sur ce sujet…

Source : Actualités du droit