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Vincent FAUCHOUX, co-fondateur de BlockchainyourIp  : « En matière de propriété intellectuelle, la blockchain présente l’avantage de couvrir toute la zone de l’avant-brevet »

Tech&droit - Blockchain
18/10/2017
Probablement le premier cabinet d’avocats (DDG) à incuber une start-up associant ingénieurs experts en blockchain et avocats, une legal tech propose de faire sortir l’administration de la preuve en matière de propriété intellectuelle du Moyen Âge. Le point sur les modes actuels de protection de l’innovation et les perspectives offertes par la blockchain, avec Vincent Fauchoux, co-fondateur de Blockchainyourlp.
Gaëlle Marraud des Grottes : Quels sont les moyens juridiques actuels qui permettent de protéger une création artistique ?
Vincent FAUCHOUX : Il faut rappeler, tout d’abord, que la protection des créations n’est pas subordonnée à l’accomplissement de formalités. Aux termes de l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, en effet, « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Par conséquent, la protection par le droit d’auteur est accordée de plein droit : aucune formalité de dépôt ou d’enregistrement n’est nécessaire pour obtenir cette protection. Ce principe dit de la protection automatique est l’un des trois grands principes issus de la Convention de Berne de 1886.
 
Reste que, dans l’hypothèse d’un contentieux en contrefaçon, il faudra rapporter la preuve de la création (date) et de son intégrité (identification de la création dans toutes ses caractéristiques). Il est donc nécessaire de prendre des mesures en amont pour faciliter l’administration de cette preuve, qui peut être apportée par tous moyens.
 
Concrètement, il existe deux types de moyens, ceux qui passent par des tiers de confiance et ceux qui se passent de cette intermédiation. Les moyens intermédiés sont le constat d’huissier, le document notarié, le dépôt auprès d’une société d’auteurs, l’enveloppe Soleau de l’INPI, ou le dépôt en ligne proposé par différentes sociétés en France ou à l’étranger, à savoir des professionnels du droit, organismes publics et privés. Ces systèmes fonctionnent bien aujourd’hui, mais ils ont parfois certains inconvénients : ils sont utilisés comme un système de protection a posteriori et non pas au fil de l’eau. Ils ne sont, par ailleurs, pas conçus pour une création ou une innovation en mode collaboratif (c’est-à-dire avec une intervention simultanée d’une cinquantaine de contributeurs). La preuve peut aussi être administrée par tous moyens avec des documents divers de la vie des affaires tels que : documents marketing ou publicitaires, dessins, croquis ou correspondance datés, catalogue, photographies prises lors de salons, factures envoyées aux détaillants ou aux distributeurs, vidéo sur youtube, etc. Tous ces éléments sont utiles et permettent de créer un faisceau d’indices qui, quand ils sont concordants, sont très efficaces (pour une illustration de l’insuffisance de la preuve rapportée et d’un échec de l’action en contrefaçon, v. CA Paris, 6 sept. 2013, n° 2012/12391, Liberty Retail v. H&M ; v. également, Cass. 1re civ., 15 janv. 2015, n° 13-22.798, Prada v. SARL Cupidon).
 
GMG : Les tribunaux sont-ils exigeants dans la démonstration de la preuve ?
V. F. : Ils le sont, et à plus d’un titre. Les juges attendent des preuves de la titularité ou de la co-titularité d’une création pour analyser le champ rationae personnae de la protection.
 
Ensuite, il faut que soit rapportée la preuve de la date certaine d’existence d’une création. Cette date détermine, en effet, la durée d’existence du droit d’auteur, mais également l’antériorité en présence de réalisations identiques ou similaires appartenant à des tiers.
 
Enfin, doit être démontrée l’intégrité d’une création et ce, pour permettre aux magistrats d’appréhender le contenu exact de la création dont la protection est revendiquée.
 
GMG : Ces modes de preuves traditionnels permettent-ils de protéger une œuvre tout au long du processus créatif ?
 
V. F. : Depuis vingt ans, je fais face à un problème non résolu, récurrent, qui est celui de la preuve de la création ou de l’innovation. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en matière de propriété intellectuelle, nous évoluons dans une forme de "Moyen Âge" en termes de preuve : les modes de preuve traditionnels ne sont pas toujours satisfaisants et le brevet ne protège que l’invention achevée.
 
On observe, par ailleurs, une grande discrimination entre le statut des droits enregistrés (marques, dessins et modèles et brevets qui donnent droit à un titre) et des droits non enregistrés (droit d’auteur, savoir-faire, algorithme). Ces difficultés peuvent aboutir à la perte pure et simple de la protection de la création ou de l’innovation. On dit souvent que le brevet c’est l’alpha et l’oméga de l’entreprise innovante : en attendant la start-up innovante développe un projet d’invention brevetable et n’est pas protégée (NDA non signés, des salariés qui rentrent et qui sortent, etc.).
 
C’est partis de ce constat que nous avons imaginé une solution utilisant tout le potentiel de la technologie blockchain bitcoin.
 
En matière de propriété intellectuelle, la blockchain présente l’avantage de couvrir toute la zone de l’avant-brevet. Cette technologie sera aussi une arme de dissuasion : elle permet d’envoyer un message aux équipes leur indiquant que tout est ancré et horodaté dans la blockchain. C’est également une sécurité pour les financeurs.
 
Ce n’est pas simplement un nouveau mode de preuve. C’est une nouvelle approche de l’administration de la preuve. Ce ne sont plus les mêmes personnes qui administrent la preuve et ce n’est plus le même moment de création de la preuve.
 
Plus précisément, ce que va permettre la blockchain, c’est d’établir la preuve de la création et de la consistance de l’œuvre, dans une logique à la fois contractuelle (licence, cession, etc.) et contentieuse. Le service que propose Blockchainyourlp est novateur : il permet de changer totalement la philosophie de la preuve des créations et des innovations. Aujourd’hui, la philosophie de la preuve, c’est une philosophie a posteriori : la majorité des entreprises ne constituent leur preuve qu’à la fin du processus de création et d’innovation. Pourquoi ? Pour des raisons de coût et de complexité, souvent. C’est donc une preuve qui est imparfaite, parce qu’elle laisse en zone de risque, toute la phase de conception, qui peut être très longue. Il faut savoir en effet que concevoir un bijou, c’est potentiellement 1 à 2 ans de R&D. Créer une robe, c’est 6 mois de travail et dessiner un flacon de parfum peut prendre jusqu’à 3 ans. Tout ceci pour montrer qu’il y a souvent un décalage important entre la date de conception et la date de protection.
 
Notre philosophie a été d’instituer une protection de la création au fil de l’eau. Le système permet de protéger de manière extrêmement simple toutes les itérations d’une même création.
 
D’un point de vue juridique, c’est très intéressant. Cela donne un grain de protection beaucoup plus fin et permet d’acter d’une date antérieure et de retracer avec une vérité extraordinaire tout le processus de création. Souvent dans les procès, les juges reprochent au créateur de ne pas expliquer quelle a été la démarche créative de l’auteur. Nous ne sommes pas toujours tenus juridiquement d’expliquer cette démarche, mais c’est un atout.
 
Admettons qu’une œuvre soit copiée avant qu’elle ne soit finalisée, et bien vous pourrez dans le cadre d’un procès, divulguer une preuve intermédiaire. On peut donc, enfin, accéder à cette finesse de preuve essentielle pour défendre certains dossiers. C’est cela qui est révolutionnaire.
 
D’autant que l’on assiste à un bouleversement de la création, qui est stupéfiant (création 3D, création assistée par une intelligence artificielle). Mais, face à ce phénomène, les modes de preuves n’ont pas du tout changé et risquent de devenir obsolètes dans un environnement digital.
 
GMG : Quelles réponses apporte le droit lorsque l’œuvre est une co-création ?
 
V. F. : Aujourd’hui, on va vers de nouveaux modes de création et d’innovation collaborative, homme-machine, particuliers/université, etc. On ne peut pas ignorer ce phénomène d’éclatement de la création et d’innovation collaborative.
 
Les juristes doivent réfléchir à la manière de protéger ces nouvelles formes d’innovation, pour qu’elles se déroulent dans une sécurité suffisante.
 
Grâce à la technologie blockchain, il sera facile de ventiler les quotes-parts de droits entre les titulaires par la désignation d’un ou de cent co-titulaires et de répartir en pourcentage cette co-titularité. Cela permettra donc d’affiner le partage de création.
 
GMG : Quels sont les cas d’usages de la blockchain en matière de propriété intellectuelle ?
 
V. F. : Pour trois applications, la blockchain apportera des solutions : l’enregistrement de la création ou du savoir-faire, l’authentification des produits et, sans doute dans un second temps, la gestion de l’exploitation des droits d’auteurs grâce aux smart contracts.
 
Comme registre, la blockchain permettra d’établir la preuve de l’existence d’une innovation, sa date de création et les caractéristiques de l’innovation. Concrètement, un descriptif de l’innovation, du savoir-faire ou de la création sera intégré dans un document (peu importe son format ou sa taille). Ensuite, ce document sera « haché » (c’est-à-dire qu’un algorithme, le SHA256, convertira ce document en une suite alphanumérique, l’empreinte). C’est cette empreinte, et non pas le document lui-même, qui sera ancrée dans la blockchain. La confidentialité des données est donc assurée. Un certificat de preuve attestant de l’ancrage de cette innovation est ensuite délivré. La blockchain permet donc d’obtenir une preuve numérique forte de la date de la création, de son/ses auteur(s) et de ses caractéristiques.
 
Par son caractère inaltérable, la blockchain permet d’assurer une traçabilité et de vérifier l’authenticité des produits (v. les exemples d’Everledger, en matière principalement de traçabilité des diamants, et de VEchain, pour la traçabilité des produits de grande consommation).
 
Les smart contrats sont également un axe potentiel de développement de la blockchain : (pour une définition de ces smart contracts, v. Actualités du droit, 17 mars 2017, « Tous les contrats ne peuvent pas être des smart contracts » ; Actualités du droit, 8 juin 2017, De l’usage des smart contrats ; pour des exemples de smart contracts, v. les services proposés par les sociétés Slock-it et Augur). Prenons l’exemple du projet de la SACEM. Le 11 avril 2017, la SACEM a annoncé s’associer avec ses homologues américains (l’American society for composers authors and publishers, ASCAP) et anglais (la Performing right society for music, PRS for music). L’objectif : construire un projet fondé sur la blockchain destiné à mieux identifier les œuvres musicales. Dans un premier temps, un prototype de gestion partagée des informations relatives au droit d’auteur, consistant en une base de métadonnées d’œuvres musicales va être créé. Puis, une collaboration avec IBM pour exploiter la technologie « blockchain open source » de la Linux Foundation, va être mise en place, afin de gérer et de préciser les liens existants entre les ISRCs (codes internationaux normalisés des enregistrements musicaux) et les ISWCs (codes internationaux normalisés pour les œuvres musicales). Ces sociétés souhaitent ainsi optimiser l’identification des ayants droit, réduire les risques d’erreur et limiter les coûts. Ensuite, dans une deuxième phase, elles tenteront de traiter un plus grand nombre d’œuvres, l’objectif étant de constituer une base de 30 millions de liens. À terme, les 170 sociétés d’auteurs dans le monde ainsi que les autres acteurs de cette industrie (YouTube, Spotify, etc.) pourraient utiliser ce registre virtuel. De nombreux obstacles techniques et juridiques devront auparavant être levés, mais cette expérimentation démontre la grande utilité de la blockchain.
 
GMG : Quels avantages apporterait la preuve par la blockchain ?
 
V. F. : La blockchain offre des avantages très intéressants en matière de preuve.
 
Cette preuve est transparente et peut être vérifiable à tout moment, partout dans le monde. Elle est infalsifiable et sécurisée (grâce au système de distributed ledger propre à cette technologie : cette information est enregistrée sur tous les nœuds du réseau). Cette preuve est, par ailleurs, confidentielle, puisque seule l’empreinte est enregistrée dans la blockchain. Enfin, cette technologie permet de simplifier le processus de constitution de la preuve non seulement en permettant de tracer les différentes étapes de la création, mais aussi en redonnant la main au créateur qui peut se constituer une preuve par lui-même. Enfin, son coût, extrêmement faible, concourt à démocratiser la preuve des créations et de l’innovation.
 
Précisons que, dans un premier temps, nous conseillerons à nos clients de maintenir leur système traditionnel de preuve. Nos services ne sont pas, pour l’instant, prévus pour se substituer à la preuve traditionnelle. Ils la complètent en permettant d’apporter un niveau de finesse supérieur et ce, sans alourdir les coûts.
 
GMG : La complexité de la blockchain ne va-t-elle pas rebuter les créateurs ?
 
V. F. : Blockchainyourlp a voulu prendre le contrepied de l’approche technologique de la blockchain et la rendre intelligible et accessible par des non technophiles. L’application a été fondée par des avocats spécialisés en propriété intellectuelle du cabinet Deprez Guignot & Associés (DDG) pour l’aspect juridique et par une start-up experte en matière de blockchain, la société Woleet, pour l’aspect technique. L’application repose sur une "couche de technologie blockchain" développée par Woleet.  
 
Le formulaire qui permet d’entrer les données est très simple, fluide et complètement démocratisé pour désacraliser la preuve en propriété intellectuelle et être accessible à tout un chacun : start-up, grands services de R&D, inventeurs isolés, laboratoires, etc. On a travaillé sur des métadonnées qui accompagnent l’acte d’ancrage dans la blockchain pour que cet acte soit intelligible et compris dans ses caractéristiques et dans sa finalité. Moins de deux minutes seront nécessaires pour finaliser la protection d’une création, d’un savoir-faire ou d’une innovation.
 
L’objectif : que la preuve quitte le piédestal des juristes en propriété intellectuelle pour être utilisée par ceux qui créent. En quelque sorte, ce système permet de déléguer l’administration de la preuve aux opérationnels de la création et de l’innovation, mais dans un cadre guidé.
 
En pratique, quelles sont les étapes ? Pour ancrer une œuvre ou une innovation dans la blockchain, on doit donner sa dénomination, décrire l’œuvre, déclarer une date de création, ainsi que les auteurs et les coauteurs. Ensuite, une empreinte numérique est générée et ancrée sur la blockchain. Un certificat est délivré à l’issue de l’ancrage.
 
Pour créer des empreintes par notre système, il faut créer soit un compte d’entreprise soit un compte de particulier. Ensuite, toutes les créations ancrées dans votre compte seront présumées être votre création intellectuelle. Dans le cadre d’un compte d’entreprise, toutes les personnes qui effectueront matériellement l’ancrage attribueront la propriété intellectuelle de l’ancrage à la personne morale titulaire du compte.
 
Nous avons conçu un système de confiance destiné à prévenir les risques d’attributions frauduleuses de la création d’un tiers en imposant à l’utilisateur des déclarations responsabilisantes par divers opt in. Ce problème de la fraude existe, au demeurant, dans tous les systèmes traditionnels.
 
Précisons, enfin, que le système se fonde sur une blockchain bitcoin, celle qui présente le plus haut niveau de sécurité du marché.
 
GMG : Cette technologie permettra-t-elle de protéger un savoir-faire ?
 
V. F. : Tout type de création et d’innovation pourra être protégé. La particularité de notre système, c’est aussi qu’il est conçu pour couvrir un savoir-faire, et ce, d’autant plus, que l’on attend la transposition de la directive communautaire en 2018 (Dir. n° 2016/943/UE, 8 juin 2016, JO n° L 157/1, 15 juin 2016, sur la protection du savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, à transposer avant le 9 juin 2018). Pour bénéficier de la protection du savoir-faire, il faut que ces informations « (aient) fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes » (Dir. 2016/943/UE, 8 juin 2016, art. 2, c).
 
Ces mesures raisonnables n’ont pas été définies dans le texte. Vraisemblablement, cela renvoie à toute mesure qui contribue à la protection du savoir-faire (NDA, coffre dans son entreprise, interdire l’usage de smartphone dans une usine) mais ces mesures peuvent aussi prendre la forme d’un ancrage dans la blockchain, car cette opération permet de conserver la preuve à la fois de la consistance de son savoir-faire et de la date de sa création.
 
GMG : La preuve par la blockchain sera-t-elle recevable devant un juge ?
 
V. F. : Lorsque nous avons conçu ce projet, nous nous sommes tout de suite placés dans la perspective d'un certificat blockchain qui serait présenté à un juge. Le jour où un juge reconnaîtra la validité d’un certificat blockchain, on aura gagné une partie de notre pari.
 
Comment procèderons-nous devant un juge avec ce type de preuves ? Le juge n’étant pas habilité à mener des investigations, nous avons conçu un partenariat avec un Huissier de Justice pour qu’il compare l’empreinte et le document afin d’établir un procès-verbal de conformité. L’intervention de l’huissier n’est plus requise systématiquement et à priori mais uniquement lorsque cette preuve a besoin d’être utilisée dans un cadre judiciaire. La preuve par la blockchain est valable dès sa création  mais l’huissier permet de la traduire plus facilement devant un juge. En effet, ce partenariat organise, de façon inédite, les conditions d’établissement par l’huissier d’un procès-verbal de constat d’une preuve de création ou d’innovation préconstituée par la blockchain, totalement adaptée aux attentes des tribunaux. L’huissier vérifiera ainsi de façon indépendante la preuve blockchain avec les outils techniques nécessaires à cet effet, et établira ensuite un procès-verbal constatant la parfaite conformité de cette preuve (pour en savoir plus, v. Actualités du droit, 20 juill. 2017, entretien avec Bergé-Lefranc C., co-fondateur de Ledgys solutions : « la blockchain est une technologie très efficace pour se préconstituer une preuve »).
 
On pourrait penser que lors d’un contentieux, il faudra un expert pour rendre cette preuve accessible. Le système proposé par Blockchainyourlp rend la preuve blockchain intelligible, notamment en y adjoignant des métadonnées. Elles permettent de comprendre le sens de la preuve constituée, sa finalité et son objet. Le recours à un expert ne sera, dès lors, à mon sens, pas nécessaire pour valider la preuve par la blockchain. Pour les premiers contentieux, probablement en 2018, des courriers d’experts seront peut-être indispensables pour attester de la sécurité de la blockchain. Mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire venir à la barre un homme de l’art issu de l’univers blockchain. Il faudra passer par un travail de pédagogie vis-à-vis des magistrats spécialisés en propriété intellectuelle, pour leur présenter les sous-jacents technologiques de la blockchain et son extrême fiabilité. Mais je pense que les choses vont aller beaucoup plus vite qu’on ne le pense, d’autant que le législateur se saisit aussi de cette technologie (Ord. n° 2016-520, 26 avr. 2016, JO du 29 avril 2016 relative aux bons de caisse ; une autre ordonnance relative aux titres financiers doit être promulguée avant le 9 décembre 2017, v. Actualités du droit, Projet d'ordonnance blockchain/titres financiers : un cadre plus sûr pour la blockchain ?).
 
La force de la preuve blockchain, c’est que c’est la seule preuve au monde qui est susceptible d’être challengée par son adversaire. On étend le débat contradictoire judiciaire à la fiabilité même de la preuve. Aujourd’hui, si j’ai un doute sur un constat d’huissier ou l’authenticité d’une preuve par une entreprise privée, je n’ai aucun moyen technique de challenger cette preuve devant le juge. En pratique, c’est à l’adversaire qui challengerait une preuve blockchain qu’il appartiendra de donner des éléments de nature à faire douter de la sincérité de la preuve blockchain. Comme la blockchain est une technologie qui n’est pas propriétaire, notre mode de preuve pourra être audité, même pendant le procès, sur n’importe quel explorateur blockchain et permettra de démontrer si l’empreinte correspond, ou pas, au document.
 
Cette technologie permet, en outre, de déplacer la confiance : elle ne repose plus dans un tiers de confiance mais dans une technologie, validée dans tous les pays du monde.
 
Ajoutons, in fine, qu’il ne faut pas attendre de la blockchain ce qu’elle ne peut pas faire : elle n’atteste pas de la date réelle de création, mais bien de la date d’ancrage, étant précisé qu’aucun moyen actuel de preuve ne permet d’attester de cette preuve de la date de création.
 
GMG : Quels acteurs pourraient être intéressés par ce type de constitution de preuve ?
 
Les acteurs à qui ces modalités de preuve seront utiles, sont ceux de l’univers de la mode et du luxe, mais également de l’édition, de la gastronomie (savoir-faire lié aux recettes), de la grande distribution ou encore de la joaillerie.
 
Notre solution est d’ailleurs en test, actuellement, dans ces secteurs. Nous comptons ainsi une cinquantaine de clients actifs.
 
L’idée, encore une fois, ce n’est pas seulement de proposer une démarche probatoire, mais de glisser vers une démarche de certificat d’authenticité. Nous souhaitons créer un certificat d’authenticité nouvelle génération qui se manifestera par un ancrage blockchain. L’émission d’un certificat est un acte de propriétaire. Les artistes pourraient éditer eux-mêmes leurs certificats d’authenticité, qu’ils signeraient au surplus. On glisse d’une question probatoire vers une question d’authenticité.
 
Nous avons voulu également donner une dimension éducative au projet. Nous offrons gracieusement notre système à tous les étudiants des écoles de création de France. Deux partenariats ont été lancés en septembre, l’un avec l’Institut français de la mode (IFM) et l’autre avec le Paris college of art (PCA). Et trois autres sont en cours de déploiement, avec pour objectif, une dizaine de partenariats d’ici la fin de l’année. Ensuite notre ambition, c’est de l’étendre au plus grand nombre d’écoles de design en France. L’idée, c’est de sensibiliser la jeune génération à la propriété intellectuelle (en insistant sur le message suivant : la propriété intellectuelle c’est votre revenu de demain : vous devez donc vous en préoccuper et avoir la discipline de protéger vos œuvres), mais aussi, d’en faire de futurs utilisateurs de notre système. C’est une démarche sur le long terme qui correspond à la philosophie pro-innovation et procréation de notre projet.
 
Grâce à la blockchain, la preuve de la création deviendra de plus en plus fine en rendant possible la génération de preuves au fil de l’eau. Et demain, peut-être, cette sécurité pourra être étendue à la preuve de la titularité.
 
Une protection propice au renforcement du droit des créateurs et des innovateurs.
 
 
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
 
Source : Actualités du droit