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Ordonnances : promotion sur les licenciements injustifiés !

Social - Contrat de travail et relations individuelles, Formation, emploi et restructurations, Fonction rh et grh, IRP et relations collectives
08/09/2017
Avec le plafonnement des indemnités prud'homales, le gouvernement a cédé aux sirènes patronales, estime l'avocat David Métin, spécialiste en droit du travail.
Il y a 44 ans, le 18 juillet 1973, le législateur décidait de créer l’ancêtre de l’article L 1235-3, l’article L 122-14-4, qui instaurait une indemnisation plancher – équivalente aux salaires des 6 derniers mois – lorsqu’un salarié de plus de 2 ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 11 salariés était licencié abusivement.

Faut-il rappeler que ce texte est né pendant les trente glorieuses, c’est-à-dire en pleine période de forte croissance économique et d’amélioration des conditions de vie des pays développés, membres pour la plupart de l’OCDE. C’est dire que le taux de chômage de l’époque était bien inférieur à celui que nous connaissons désormais.

Alors que les salariés licenciés pouvaient facilement retrouver un emploi, ils pouvaient parallèlement, en cas de contestation judiciaire de leur licenciement, bénéficier d’une indemnisation minimale dans les termes précités.
C’est donc en toute logique que l’on pensait, en cette période de pénurie d’emploi et compte tenu du préjudice subi par les salariés du fait de la perte injustifiée de leur emploi, que le gouvernement prendrait en compte cette situation en légiférant dans le sens de la sécurité de l’emploi et de fait, en augmentant l’indemnité minimale née en 1973. Rien de cela.
 

« Un cadeau fait aux patrons et à leurs organisations professionnelles »

 
Avec 3 518 100 chômeurs en France, le Président de la République, dont seulement 24,01 % des électeurs ont adhéré à son programme, a réitéré ce qu’il n’avait pas pu faire lorsqu’il était ministre de l’économie, à savoir « barémiser les indemnités prud’homales au motif qu’elles seraient un frein à l’embauche et que cette mesure, parmi d’autres, serait destinée à lutter contre le chômage. » De qui se moque-t-on ?
 
Il s’agit d’une contrevérité. Pas une seule étude digne de ce nom ne le justifie. C’est un énième cadeau fait aux patrons et à leurs organisations professionnelles. C’est en martelant à l’envi cette ineptie que nos dirigeants politiques arrivent à faire admettre à l’opinion publique cette contrevérité. Souvenez-vous, ce fut déjà le cas en 2008 avec la création de la rupture conventionnelle.
Le Medef, sous la plume de Madame Parisot (voir son ouvrage Besoin d’Air, édition Seuil), revendiquait une rupture amiable, codifiée désormais sous le terme « rupture conventionnelle » pour lutter contre le chômage. Le Medef, aidé en cela du législateur, avait réussi à faire admettre qu’en permettant de rompre un contrat de travail plus facilement, on limiterait le chômage. Chimères.
Les chiffres du chômage en augmentation constante parlent d’eux-mêmes. Le Medef a tout compris.
 

« Un changement de paradigme »


Après avoir obtenu des avancées conséquentes en matière de rupture du contrat de travail, il convenait de parachever le processus de licenciement en limitant l’indemnisation en cas de condamnation prud’homale. C’est désormais chose faite avec la nouvelle version de l’article L 1235-3 du Code du travail qui encadre entre un plancher et un plafond le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de manquements de l’employeur.
Il sera désormais légalement admis qu’un employeur qui licenciera un salarié de façon abusive sera certes condamné, mais de façon limitée. Le Juge n’aura plus la possibilité d’apprécier librement l’étendue du préjudice du salarié dès lors que les indemnités seront encadrées. Il est ainsi mis fin à toute la construction prétorienne sur la réparation intégrale du préjudice.
 
Nous assistons là à un véritable changement de paradigme En mai 1968, en pleine grève générale, les accords de Grenelle sont signés entre syndicats, patronat et gouvernement. Le droit du travail a été profondément bouleversé et les accords de Grenelle marquent le début d’un mouvement législatif plus protecteur pour les salariés. Près de 50 ans plus tard, les ordonnances de l’ère Macron marquent le début d’un mouvement législatif plus protecteur pour les employeurs.
Le droit du travail est né de luttes. Il est né pour défendre les intérêts des plus faibles (le salarié) contre le plus fort (l’employeur). Il était donc impensable, aujourd’hui, que le gouvernement puisse permettre aux employeurs de pouvoir violer la loi impunément ! Car c’est de cela dont il est question. L’employeur peut prévoir le coût des ruptures et donc le coût de la violation de la loi ! C’est choquant.
 
Imaginons un salarié travaillant dans une entreprise de moins de 11 salariés, âgé de 55 ans et cumulant 6 années d’ancienneté. Imaginons qu’il a rejoint les effectifs de cette société après avoir été démarché et en démissionnant de son précédent emploi dans lequel il cumulait une importante ancienneté et donc une garantie d’emploi. Nul ne pourra nous contredire. Agé de 55 ans, il lui sera très difficile pour ne pas dire impossible de retrouver un emploi. Or, le juge qui constatera que le licenciement du salarié est abusif sera limité dans la réparation du préjudice.

Il ne pourra condamner l’employeur qu’à hauteur de 6 mois de salaire, maximum, alors que pour réparer l’intégralité du préjudice, le montant des dommages et intérêts pourrait être largement supérieur, à défaut de barème.
 

«  Ecran de fumée »

 
Qu’adviendra-t-il des salariés handicapés, des foyers monoparentaux avec plusieurs enfants… Autant de situations qui nécessitent que le Juge apprécie au cas par cas l’étendu du préjudice sans se contenter d’appliquer un barème qui n’a aucun sens sauf celui de sécuriser l’employeur !
 
Faut-il rappeler que pour être condamné, l’employeur doit avoir commis un manquement au Code du travail. Il n’est donc pas farfelu qu’un employeur soit condamné dès lors qu’il licencie abusivement un salarié. Laissons au juge le soin de chiffrer le préjudice comme le disent d’ailleurs les organisations syndicales de Magistrats : « les situations personnelles doivent continuer d’être appréciées individuellement par le juge. »

Pour parer l’argument, le gouvernement se félicite de prévoir une augmentation de l’indemnité légale. Ce n’est pour autant qu’un écran de fumée car les employeurs et les professionnels du droit savent que l’indemnité légale n’est due qu’à défaut de convention collective plus favorable. Bien souvent, les conventions collectives sont plus favorables que la loi de sorte que cette prétendue augmentation n’est aucunement une avancée pour le salarié. Tout le monde ne bénéficiera pas de l’augmentation mais tout le monde subira le plafonnement !
 
Nous combattrons donc judiciairement les barèmes. Déjà en 2015, le Conseil Constitutionnel avait censuré les dispositions de la loi Macron relatives au plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sans pour autant remettre en cause le principe. Ce n’est donc pas du côté du Conseil Constitutionnel que nous devrons trouver la réponse et ce d’autant plus qu’il vient de valider dans sa décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, sans aucune réserve, la loi d’habilitation autorisant le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures pour le « renforcement du dialogue social » (Lire notre article, NDLR).

Espérons que les juges du siège à qui seront dévolus ces contentieux censureront à leur tour les barèmes dès lors qu’ils violeraient l’article 24 de la Charte Sociale Européenne [1] dotée d’une dimension supranationale et d’application directe dans l’ordre juridique français.
 
Il est d’autant plus nécessaire de combattre ce barème spécifique et impératif que demain, dans le cadre de la fixation du montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge pourra tenir compte des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, ce qui, jusqu’à présent, n’était pas le cas.
 
La perfidie du gouvernement prend ici toute son ampleur. Lors de la présentation des ordonnances, nos représentants politiques déminaient la contestation en annonçant l’augmentation de l’indemnité légale parallèlement à la création du plafonnement des indemnités des licenciements irréguliers ou sans cause.
Ils oubliaient pour autant les dispositions précitées prévoyant la possibilité pour le juge de tenir compte de l’indemnité légale pour fixer le montant des dommages et intérêts, ce qu’il ne pouvait faire antérieurement. Ce que le gouvernement octroie d’un côté, il le retire de l’autre. Mais il y a plus.
 

« Le salarié est sacrifié »

 
La nouvelle rédaction de l’article L 1235-3 permet toujours aux salariés de bénéficier d’indemnités consécutives à un licenciement pour motif économique, celles pour non-respect de la priorité de réembauche (article L 1235-13), ou encore celles pour procédure irrégulière en cas d’absence de mise en place des représentants du personnel (article L 1235-15).
Jusqu’à ce jour, la violation de ces textes par l’employeur permettait aux salariés de bénéficier d’indemnités distinctes et cumulatives sans être plafonnées. Demain, lorsque la loi sera en vigueur, ces indemnités seront certes cumulables avec l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse mais dans la limite du barème. Cela signifie que l’employeur peut commettre, non pas une, mais des violations de la loi, aussi nombreuses soient-elles et se verra pour autant sanctionné dans la limite du barème prévu à l’article L 1235-3.
Force est d’admettre que le salarié est sacrifié.
 
Certes, le projet d’ordonnance prévoit toutefois l’octroi de certaines indemnités qui seraient de fait exclues du barème. L’article L 1235-3-1 dispose que le barème n’est pas applicable lorsque le Juge constate que le licenciement est nul en application d’une disposition législative en vigueur ou qu’il est intervenu en violation d’une liberté fondamentale. Gageons que le juge soit appelé dans tous les contentieux à définir ce qu’est « une liberté fondamentale » à la lueur de la nouvelle Loi.
 
Le texte détaille les cas de nullité. On dénombre :
  • les licenciements afférents à des faits de harcèlement moral ou sexuel ;
  • les licenciements afférents à une discrimination en raison d’un des critères énumérés à l’article L 1134-4 ;
  • les licenciements consécutifs à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre homme et femme ;
  • les licenciements consécutifs à une dénonciation de crime ou de délit dans les conditions prévues à l’article L 1232-3-3 ;
  • les licenciements consécutifs à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé mentionné aux articles L 2411-1 à L 2411-25 ;
  • les licenciements portant atteinte à la protection légale de la maternité ;
  • les licenciements des salariés victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
 
Les défenseurs du plafonnement des indemnités prud’homales soutiennent que ce barème ne s’applique pas aux licenciements discriminatoires. Lesquels ?
Le 2ème alinéa de l’article L 1235-3-1 du Code du travail est exhaustif sans pour autant viser les licenciements discriminatoires.
On cherchera vainement la référence aux discriminations prévues au titre III du Livre 1er de la première partie du Code du travail, notamment aux licenciements :
  • fondés sur l’exercice normal du droit de grève (article L 1132-2),
  • fondés sur le témoignage des salariés (article L 1132-3),
  • pour avoir exercé des fonctions de juré ou d’assesseur (article L 1132-3-1),
  • fondés sur le refus d’être muté dans un pays incriminant l’homosexualité (article L 1132-3-2),
  • fondés sur les discriminations telles que prévues à l’article L 1132-3-3 du Code du travail.
 
Est-ce une volonté politique inavouée de soumettre les licenciements discriminatoires au plafonnement ou doit-on considérer que ces principes de non-discrimination sont intrinsèquement rattachés à la « liberté fondamentale » telle que prévue à l’alinéa 2 de l’article L 1235-3-1 ? Le texte est confus.
Par souci de cohérence, le gouvernement aurait dû le prévoir. Mais le gouvernement n’est pas à une confusion ou à une incohérence près. En témoigne d’ailleurs le texte relatif à la prise d’acte de rupture du contrat de travail ou à la résiliation judiciaire. Il s’agit de l’article L 1235-3-2 du Code qui prévoit que dans de tels cas, le montant de l’indemnité octroyée est soumis au barème. Que ce soit la prise d’acte ou la résiliation judiciaire du contrat de travail, nul n’ignore qu’elle peut produire les effets d’un licenciement nul, notamment si elle est fondée sur une discrimination…
 
Dans ce cadre, le salarié sera-t-il indemnisé en fonction du barème ? Par un tel silence des textes, n’est-ce pas là encore une volonté politique de soumettre ces ruptures de contrat au barème ?
 
Par cette réforme, le gouvernement voulait sécuriser l’employeur ; ce sera certainement une réussite. Les salariés seront quant à eux sacrifiés, asphyxiés et précarisés. Ils le seront d’autant plus que leur licenciement sera facilité puisque le gouvernement souhaite assouplir les exigences de motivation de la lettre de licenciement allant même jusqu’à permettre à l’employeur de préciser ou compléter la lettre de licenciement une fois la rupture notifiée. Il est même prévu qu’un décret fixe les modèles de lettre que l’employeur pourrait utiliser pour procéder à la notification d’un licenciement !
 
Pire encore. Le gouvernement souhaite réduire les délais de prescription. Ils étaient de 30 ans en 2008. Ils seront d’un an en 2018 ! Des décennies de luttes détruites en quelques semaines.
 
MERCI PATRON.
 
MERCI MACRON.
 
A quand L’ABOLITION ?
(du Code du travail)

Par David Métin, avocat spécialiste en droit du travail, Cabinet Métin Avocats & Associés
 
 
 
 
[1] Cet article prévoit un droit à la protection en cas de licenciement et notamment celui « des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Source : Actualités du droit