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Michel Béna, Directeur SmartGrids, chez RTE (Réseau de Transport d'Électricité) : « De plus en plus, on va mettre des objets connectés sur le système électrique, ce qui va permettre de faire interagir les acteurs »

Tech&droit - Objets connectés
25/07/2017
Pour réussir la transition énergétique, le système électrique actuel doit devenir plus flexible. C’est l’ambition des smart grids, qui devraient, à terme, faciliter l’interopérabilité entre les réseaux de transport et de distribution, permettre une gestion plus responsable de la consommation d’énergie, intégrer la production d’énergie renouvelable ou encore le développement des voitures électriques. Le point avec Michel Béna, Directeur SmartGrids, chez RTE (Réseau de Transport d'Électricité).
Actualités du droit : Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les smart grids ?
 
M. Béna : On a l’habitude de traduire l’expression smart grid par celle de réseau électrique intelligent. Pour ma part, je préfère parler de système électrique intelligent.
 
Jusqu’à présent, on avait un fonctionnement assez simple : on acheminait l’énergie produite par de grosses unités de production via des réseaux jusqu’au consommateur et en cas de demande plus importante du consommateur, la production s’adaptait.
 
Aujourd’hui, grâce au smart grid, on pense qu’il est possible d’utiliser de manière plus performante l’ensemble des ressources du système électrique. Par exemple, plutôt que d’avoir un consommateur passif, on va être capable en superposant une couche numérique à la couche électrique, de demander à un consommateur de s’effacer, c’est-à-dire de baisser sa consommation pendant un certain temps. Les technologies numériques vont donc nous permettre de mettre en relation l’ensemble des acteurs du système électrique.
 
Les smart grids, c’est en fait l’internet de l’énergie. C’est de l’hybridation numérique et électrique (monitoring, internet des objets). De plus en plus, on va mettre des objets connectés sur le système électrique, faire interagir les acteurs.
 
ADD : Quelle est leur finalité ?
 
M. Béna : L’objectif, c’est d’optimiser les ressources en temps réel. On a un réseau de plus en plus monitoré, qui grâce à la couche numérique, nous remonte en même temps les capacités de production et les besoins de consommation, ce qui nous permet d’utiliser au mieux ces ressources, dans une logique à la fois économique et environnementale.
 
Cela se fait à l’échelle de l’Europe, puisque de plus en plus on coordonne aussi les systèmes électriques européens : à un moment donné, par exemple, il sera peut-être plus judicieux d’utiliser les barrages norvégiens, à d’autres moments, le solaire allemand, etc.
 
Il faut aussi souligner digitalisation en cours de notre propre processus interne, chez RTE, pour être plus performant, à meilleur coût. Nous installons de plus en plus de capteurs et recueillons de plus en plus de données, partout en France. Cela nous permet d’exploiter au mieux et en temps réel l’ensemble des installations et d’avoir des coûts de maintenance maitrisés . C’est une forme de smart grid interne, moins visible, mais qui a des répercussions sur la facture finale du consommateur (actuellement, le transport de l’électricité représente 8 % de la facture).
 
ADD : Quelles sont les technologies utilisées pour la mise en place de ces réseaux électriques intelligents ?
 
M. Béna : Nous considérons qu’il y a trois couches technologiques. Il y a tout d’abord la couche matérielle (mettre des capteurs sur nos réseaux, sur les parcs de production d’énergie renouvelable, chez le consommateur). La deuxième couche technologique, ce sont les logiciels : une fois que l’on a récupéré toutes ces données (demain, cela pourrait représenter plus d’un million de données, v. Smart grid en chiffres, le Mag RTE, mai 2017), il faut les ordonner et les analyser pour optimiser la production. La troisième couche, plus propre à RTE, c’est la couche architecture de marché. RTE est mandaté par le gouvernement français pour proposer les architectures marché pertinentes. Chacun aura demain la possibilité de vendre sa production, sa capacité à s’effacer du système électrique, ce qui nécessite une infrastructure informatique.
 
Au niveau européen, l’une des finalités de la Commission européenne, c’est de continuer à développer un marché européen de l’énergie. Les gestionnaires de réseaux de transport s’attèlent donc à coupler les mécanismes de marché de chaque pays, petit à pays. Tout cela, bien entendu, sous contrainte de sûreté. Une association des transporteurs européens (ENTSO-E), organise cette convergence.
 
ADD : Comment ces réseaux électriques intelligents connectent, en mode interactif, les quatre acteurs de l’énergie, à savoir le producteur, le distributeur, transporteur et le consommateur ?
 
M. Béna : Des liens avec les gros producteurs, nous en avions historiquement déjà, mais désormais, on en a avec les petites unités de production locales qui sont décentralisées (ce qui nous permet d’avoir des informations sur l’état des éoliennes, leur production d’énergie ; nous croisons ces données avec celles de Météo France pour anticiper la production des jours suivants).
 
Avec le consommateur, nous n’avions pas de lien autre qu’électrique jusqu’à présent. De plus en plus, désormais, on teste des interactions plus fortes (offres d’effacement gérées par des agrégateurs de consommateurs ; compteurs au fil de l’eau capables de remonter en temps réel la consommation des industriels, ce qui leur donne une vision très précise de leur consommation, qu’ils peuvent ainsi adapter).
 
L’idée du secteur, c’est de se caler sur des mécanismes que l’on voit en bourse, avec des échanges acheteur/vendeur, dans la limite des contraintes liées à la sécurité du système.
 
ADD : Comment l’ensemble des données personnelles recueillies est-il sécurisé ? Comment ce volume très important de données est-il stocké et exploité ?
M. Béna : Depuis que RTE est une entreprise indépendante d’EDF (année 2000), dans notre mission d’équilibrage, nous sommes chargés de recueillir les données des groupes de production. Ce sont des données confidentielles et sécurisées par des processus spécifiques.
 
À terme, Enedis aura pour sa part 30 millions de compteurs déployés, qui remonteront des données tous les jours : pour cet acteur, c’est donc une rupture plus importante.
 
Le volume de données clients, pour nous, est stable car nous avons toujours un nombre relativement constant de clients directement connectés à notre réseau (environ 500 clients sur toute la France).
 
Il ne faut pas, par ailleurs, oublier que l’idée derrière ces compteurs intelligents, c’est qu’il y ait des services qui se créent autour des données relevées. Une société commerciale pourrait par exemple, avec l’autorisation des consommateurs, analyser la courbe de charge d’un foyer pour proposer des modifications d’usage afin de réaliser des économies sur la facture énergétique.
 
ADD : L’un des enjeux des smart grid, c’est également de réduire l’émission de gaz à effet de serre. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
 
M. Béna : Dans le cadre des plans Réseau électrique intelligent, le gouvernement, a demandé à RTE de piloter un groupe de travail avec l’ADEME sur les impacts sociaux-économiques et environnementaux des réseaux électriques intelligents.
Un rapport vient d’être publié le 5 juillet, qui donne des chiffres sur ce sujet. On a identifié un certain nombre de solutions technologiques et mesuré leur impact en termes de volume de CO2 évité. En résumé, le déploiement de l’ensemble des solutions de flexibilité smart grids permet d’éviter environ 0,8 Mt CO2/an, en comptant le cycle de vie des matériels déployés.
 
Les émissions évitées représentent environ 3 % des émissions annuelles du système électrique français. L’essentiel des bénéfices en termes d’émissions de CO2 provient des solutions de flexibilité (stockage et effacement) qui peuvent fournir des services système (lien vers le rapport).
 
ADD : Quelle place occupe les smart grids dans la mise en place de smart cities ?
 
M. Béna : On a beaucoup parlé des smart grids dans le passé, mais le terme est très connoté énergie et réseau. Pour moi, les smart grids sont un facilitateur des smart cities : ils en sont une composante essentielle, aux côtés de la mobilité, de la sécurité, de la rénovation des bâtiments, etc.
 
Smart city est en réalité un terme très large, qui renvoie à la fois à une ville durable, une ville connectée, ville numérique, etc.
 
ADD : Quels sont les freins que vous rencontrez dans la mise en place de ces smart grids ?
M. Béna : Nous considérons que ces freins ne sont pas technologiques. La technologie marche, en revanche, le modèle économique n’est pas encore là. Le rapport de RTE publié le 5 juillet propose une analyse coût/bénéfice pour chaque type de solution étudié.
 
Avec la baisse des coûts des moyens de stockage et la multiplication des installations photovoltaïques, notamment, le paysage sera différent dans vingt ans.
 
Néanmoins, pour un particulier, le bénéfice d’un effacement (c’est-à-dire faire de la modulation de sa consommation d'électricité) est encore trop faible aujourd’hui pour encourager un changement d’attitude.
 
Actuellement, il y a donc, à la fois, beaucoup d’effervescence autour de ces technologies, destinée à mettre en place un internet de l’énergie, avec, par exemple, la création d’un réseau peer to peer via la blockchain. Mais l’énergie n’est pas un produit comme un autre : la question qui se pose c’est de savoir jusqu’à quel point on peut pousser l’analogie avec la téléphonie mobile ou le réseau internet. Certains créneaux ne sont pas encore rentables et sur certains domaines, il n’y a pas encore de marché.
 
ADD : Quels sont les pays les plus en pointe dans ce domaine ?
 
M. Béna : Tous les pays du monde veulent avoir un smart grid. Ceci dit, entre un pays qui s’électrifie (comme en Afrique) et des pays très avancés en termes de transition énergétique, on n’aura pas la même vision de ce que veut dire « réseau intelligent ». On ne fournit donc pas les mêmes solutions à chaque fois. En Amérique du Sud, par exemple, un réseau intelligent c’est un réseau grâce auquel on va contrer le piratage d’énergie (30 %de pertes non techniques, par exemple, au Mexique).
 
En France, nous sommes à la pointe sur les questions de maîtrise de la consommation pour aller vers un système sobre en termes de consommation. Cela n’existe nulle part ailleurs. Le Japon est très actif sur cette question des smart grid, à la fois pour consommer moins et mieux. On considère que l’on est dans les trois premiers pays sur ces solutions technologiques. La qualité de notre électricité est l’une des meilleures au monde, avec un coût raisonnable.
 
 
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
Source : Actualités du droit