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Injonction assortie d’astreintes : l’obligation peut être remplie avec des mesures équivalentes à celles enjointes

Public - Droit public général
31/03/2023
Dans un arrêt du 27 mars 2023 publié au recueil Lebon, le Conseil d’État déclare que si le juge peut modérer ou supprimer des astreintes, même en cas d'inexécution constatée, il n'a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées. Il lui permet en revanche de considérer que l’injonction a été exécutée lorsque « des mesures au moins équivalentes » à celles qui faisaient l’objet de l’injonction ont été adoptées.
Dans cette affaire, par une ordonnance du 19 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nouméa avait prononcé des injonctions à l’encontre de l’État concernant les conditions de vie des détenus au sein du centre pénitentiaire de Nouméa.
 
Par un arrêt du 19 octobre 2020, le Conseil d’État, statuant au contentieux a enjoint à l'État de procéder à plusieurs réparations matérielles au sein du centre pénitentiaire. Du fait de l’inexécution des injonctions, par une décision n° 452354 du 11 février 2022, le Conseil a prononcé une astreinte à l’encontre de l’État à hauteur de 1 000 euros par jour de retard s’il n’était pas justifié dans un délai d’un mois de l’exécution des injonctions prononcées.
 
Pouvoir de modérer l’astreinte même en cas d’inexécution
 
Par un arrêt du 27 mars 2023 (CE, 27 mars 2023, n° 452354, Lebon), le Conseil d’État, saisi d’une demande de liquidation de l’astreinte du fait de de l’inexécution partielle des injonctions, vient apporter des précisions sur le régime des astreintes.
 
Il rappelle que selon l’article L. 911-7 du Code de justice administrative « En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte qu'elle avait prononcée. (...) Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution constatée ».
 
Le Conseil déclare qu’il découle de cette disposition que si le juge peut modérer ou supprimer une astreinte « même en cas d'inexécution constatée, compte tenu notamment des diligences accomplies par l'administration en vue de procéder à l'exécution de la chose jugée, il n'a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution est demandée ».
 
Ainsi, l’astreinte est traitée indépendamment de l’objet de l’injonction. Alors que l’astreinte peut bien être supprimée ou modérée, l’injonction existe toujours et ne peut pas être remise en cause par le juge.
 
Mesures prises en lieu et place des mesures ordonnées
 
Le Conseil d’État vient toutefois accorder au juge une liberté quant à l’appréciation de la réalisation des mesures enjointes. Il indique que l’administration peut aussi prendre une autre mesure que celle demandée dans le cadre de l’injonction, et qu’en pareil cas, le juge a la possibilité de considérer que les mesures enjointes ont été exécutées. Ceci aura pour conséquence que l’astreinte ne sera pas due, alors même que la mesure enjointe n’a pas été adoptée. 
 
Il annonce : « Toutefois, si l'administration justifie avoir adopté, en lieu et place des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés, des mesures au moins équivalentes à celles qu'il lui a été enjoint de prendre, le juge de l'exécution peut, compte tenu des diligences ainsi accomplies, constater que l'ordonnance du juge des référés a été exécutée ».
 
En l’espèce, le Conseil d’État constate qu’une grande partie des injonctions ont été exécutées ou sont en cours d’exécution. Il considère cependant que l’une des injonctions n’a pas été exécutée et vient illustrer le principe qu’il pose dans son arrêt, selon lequel l’administration peut justifier avoir adopté des mesures « au moins équivalentes à celle qu’il lui a été enjoint de prendre ».
 
Absence de preuve que les mesures ont un effet au moins équivalent
 
En effet, il avait été enjoint à l’État d’installer des moustiquaires dans les salles d’enseignement du centre pénitentiaire de Nouméa. L’administration n’a pas procédé à cette installation, mais le ministre de la justice indique que les salles ont été équipées d’une climatisation, et fait valoir que cette mesure serait efficace pour limiter l’impact des moustiques. Toutefois, « il n’apporte pas d’éléments établissant que (la climatisation) a des effets au moins équivalents » aux mesures enjointes par l’ordonnance du juge des référés. La Haute cour juge ici que l’ordonnance n’a pas été pleinement exécutée et que la liquidation de l’astreinte est justifiée, mais décide de la modérer, cette faculté étant prévue par l’article L. 911-7 précité.
 
Le Conseil annonce qu’il y a lieu de procéder à la liquidation de l’astreinte pour la période du 12 mars 2022 à la date de la décision. L’astreinte initialement prévue était de 1 000 euros par jour de retard, ce qui représenterait pour cette période près de 400 000 euros. Or, le Conseil décide de la limiter à 10 000 euros, usant largement de sa faculté de modérer le montant, et appliquant le principe annoncé dans cette décision à savoir la possibilité de modérer l’astreinte « même en cas d'inexécution constatée, compte tenu notamment des diligences accomplies par l'administration en vue de procéder à l'exécution de la chose jugée ». Cette modération est certainement liée au constat selon lequel l’administration a accompli un certain nombre de diligences puisqu’elle a exécuté la majorité des injonctions, et a pris des mesures pour la dernière injonction.
Source : Actualités du droit