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« Les conducteurs ne sont pas des gendarmes »

Transport - Voyageurs
02/12/2022
Après avoir perdu son fils Loïc dans le drame de Millas (voir BTL n° 3903, p. 676), Fabien Bourgeonnier a créé l'association « À la mémoire de nos anges ». Après s’être documenté auprès de conducteurs d’autocars scolaires, il milite pour l’amélioration de la sécurité routière dans ce segment d’activité ; de lettres adressées aux ministres concernés en rencontres avec les autres associations de victimes, il remue ciel et terre à la recherche d’interlocuteurs avec, dans sa besace, des propositions très concrètes.
Bulletin des transports : Depuis le drame de Millas, vous dites que personne ne prend la mesure du problème de la sécurité à bord des autocars scolaires. Qu’est-ce qui vous fait affirmer cela ?
Fabien Bourgeonnier : Je me demande, suite à cette catastrophe, pourquoi mon fils était debout, non attaché, discutant avec un copain décédé lui aussi. J'ai donc décidé d’agir en rencontrant des chauffeurs, j’ai écouté leurs expériences et essayé de comprendre cette problématique. Dans les cars, d’après leurs témoignages, beaucoup d'enfants n’écouteraient pas les consignes de sécurité, se détacheraient dès le démarrage du véhicule et empêcheraient le chauffeur de pouvoir contrôler cette mise en sécurité de nos enfants.
Ce phénomène se produit régulièrement car beaucoup de jeunes récalcitrants à l'autorité de l'adulte répondraient aux chauffeurs par des insultes, des moqueries et parfois même par des menaces physiques. Beaucoup de chauffeurs se disent ne pas être gendarmes ou se sentent incapables de gérer cette situation. Si quelqu’un se détache, ils ne peuvent de toute façon pas s’arrêter n’importe où quand ils sont sur une voie rapide ou une départementale ! Ils en informent leurs employeurs mais là aussi, aucune mesure n’est prise. Quand bien même certains parents sont mis au courant, leurs réponses peuvent être surprenantes : leurs enfants sont des anges et de ce fait, incapables de faire des bêtises ou même d’être les auteurs d’agressions verbales, physiques, pendant le trajet. Pour ces parents, c’est inconcevable.

BTL : Vous avez décidé de rejoindre l'association ADATEEP 66, qui va à la rencontre des jeunes pour les sensibiliser au risque d’accident lors des transports scolaires.
F. B. : Oui, car cette association les informe des dangers qui existent dans un car, des angles morts, elle donne une formation pour gérer les évacuations en cas d’accident ou de départ de feu. Les témoignages d’enfants sont édifiants. S’ils ne s’attachent pas, c’est pour diverses raisons : ils se sentent en sécurité dans un car ou ils veulent faire comme les grands. Il est bien établi que nos enfants sont en danger dans les transports scolaires et que certains chauffeurs ne prennent pas les dangers en considération. Attention, je ne veux pas stigmatiser toute une profession mais je pense qu’on doit tous œuvrer pour la sécurité de nos enfants.

BTL : Vous proposez notamment qu’à bord, il y ait la présence d’une autre personne que le conducteur de l’autocar pour surveiller les passagers.
F. B. : Le chauffeur, il lui est demandé d’être vigilant à sa conduite, de rester professionnel, de pouvoir éviter tout souci, d’être à l’heure sur sa tournée. Comment peut-il en plus surveiller autant d'enfants ? Il me semble que la présence d’un accompagnateur serait judicieuse. Je pense que des solutions peuvent être trouvées au-delà, j'en conviens, du coût financier. Mais pourquoi pas, par exemple, employer une personne au chômage et une semaine par mois ? Cette fonction pourrait être occupée par des jeunes retraités à qui seraient proposées des heures de bénévolat, ou à des services civiques.

BTL : En dehors de cette présence, quelles autres améliorations envisageriez-vous ?
F. B. : On pourrait imaginer équiper les véhicules d’un voyant ou une sonnerie indiquant au chauffeur le non-port de la ceinture de sécurité, organiser des formations régulières sur la sécurité dans les cars, des exercices pour évacuer les enfants lors des incendies ou des accidents, installer des caméras, ce qui en cas d'accident, permettrait de prouver la responsabilité ou non du chauffeur en levant tous les doutes. Pourquoi ne pas rendre obligatoire la formation PSC1 (1) dans la formation professionnelle du conducteur ? Pourquoi ne pas interdire le téléphone portable près du chauffeur, voire utiliser un brouilleur ?

BTL : Vous soulignez aussi, parmi les freins à une meilleure sécurité, le manque de communication entre les établissements scolaires, les parents, les chauffeurs et les transporteurs.
F. B. : Il me semble qu’il faudrait organiser des réunions entre les associations de parents d’élèves, groupements de chauffeurs, les patrons d’entreprises, afin de discuter des mesures à prendre, connaître et sensibiliser toutes les personnes concernées. Une prise de conscience collective, une réflexion pour la sécurité de nos enfants, tout cela doit être une priorité. Un enfant doit pouvoir aller à l’école et en revenir en toute sécurité. Je souhaite que le drame de Millas permette que la sécurité soit optimale, que les manquements rencontrés et prouvés ne se reproduisent plus ou du moins, soient évités.

(1) Le certificat prévention et secours civiques de niveau 1, en abrégé PSC1, est la formation de base aux premiers secours en France. ●

Propos recueillis par Natalie Grange
 
Source : Actualités du droit