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Modification des prix dans les contrats : le Conseil d’État a rendu son avis

Public - Droit public des affaires
23/09/2022
Dans un avis rendu le 15 septembre 2022, le Conseil d’État a déclaré que les prix et la durée des contrats de la commande publique pouvaient être modifiés pour compenser les surcoûts d’exécution de ces contrats. Il a toutefois posé des conditions tenant au respect des principes fixés par le Code de la commande publique. Ces éléments sont repris dans une fiche technique de la Direction des affaires juridiques publiée le 21 septembre.
Dans un avis rendu le 15 septembre 2022 par la section de l’administration (CE, avis, 15 sept. 2022, n° 405540), le Conseil d’État a répondu à la question de la modification des prix des contrats de la commande publique, posée du fait de hausse des prix et des difficultés d’approvisionnement pour certaines matières premières rencontrées depuis quelques mois. Le Conseil avait été saisi en juin dernier par le ministre de l’Économie d’une demande d’avis quant aux possibilité de modifier les prix ou les tarifs des contrats de la commande publique, et sur l’articulation de cette éventuelle modification avec la théorie de l’imprévision.
 
La Haute cour a répondu qu’il était possible de modifier les clauses financières d’un contrat en application des articles R. 2194-5 et R. 2194-8 du Code de la commande publique pour les marchés publics et R. 3135-5 et R. 3135-8 pour les contrats de concession.
 
La Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie a publié le 21 septembre une fiche technique intitulée « Possibilités offertes par le droit de la commande publique de modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles et articulation avec l’indemnité d’imprévision » détaillant les éléments de cet avis.
 
Possibilité de modifier les clauses financières pour faire face à des circonstances imprévisibles
 
Comme l’indique la DAJ, « Le Conseil d’État a précisé que si le prix contractualisé ne peut, en principe, être modifié, ce principe n’est pas absolu et connaît des exceptions ».
 
Ainsi, les conditions du contrat peuvent être modifiées seulement en cas de survenance d’une circonstance imprévisible pour les parties au moment de la passation du contrat.
 
De plus, seules des modifications nécessaires pour la poursuite du contrat peuvent avoir lieu. Le Conseil indique ainsi : « les modifications apportées au contrat (…) doivent être directement imputables aux circonstances imprévisibles et ne peuvent excéder ce qui est nécessaire pour y répondre ». Elles doivent « être strictement limitées, tant dans leur champ d’application que dans leur durée, à ce qui est rendu nécessaire par les circonstances imprévisibles pour assurer la continuité du service public et la satisfaction des besoins de la personne publique ».
 
Le Conseil a également limité le montant de la modification pour circonstances imprévisibles à 50 % de la valeur du contrat initial pour les contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs.
 
Il s'est prononcé sur les modifications de faible montant, prévues par les articles R. 2194-8 et R. 3135-8 du Code de la commande publique. Il estime ainsi qu’il incombe à l’autorité contractante de s’assurer de leur nécessité afin d’éviter qu’ « elles aient pour effet de compenser, même partiellement, la part de l’aggravation des charges qui n’excède pas celle que les parties avaient prévu ou auraient dû raisonnablement prévoir ».
 
Indemnisation du cocontractant sur le fondement de la théorie de l’imprévision
 
Le Conseil a rappelé dans son avis les termes de l’article L. 3, al. 3, du Code de la commande publique, à savoir : « Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité » et les principes résultant des arrêts Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux et Société Alliance (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n° 59928 ; CE, 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155 ; voir Le Lamy droit public des affaires n° 2564). Il résulte de ces décisions qu’il est possible de modifier les contrats afin de remédier à une situation résultant de circonstances imprévisibles.
 
Il précise : « un même marché ou contrat de concession, passé par un pouvoir adjudicateur, peut faire l’objet d’autant de modifications d’un montant maximal, chacune, de 50 % du montant du contrat initial qu’il y a d’événements imprévisibles distincts dont le déficit d’exploitation est la conséquence directe. Les modifications successives ne doivent cependant pas avoir pour objet de contourner les obligations de publicité et de mise en concurrence, ce dont il se déduit que les modifications envisagées doivent être strictement limitées, tant dans leur champ d’application que dans leur durée, à ce qui est rendu nécessaire par les circonstances imprévisibles pour assurer la continuité du service public et la satisfaction des besoins de la personne publique. »
 
Articulation entre les possibilités de modifications du contrat et le droit à une indemnité d’imprévision
 
Le Conseil considère que l’indemnisation sur le fondement de la théorie de l’imprévision est un droit pour le titulaire du contrat, qui peut se combiner avec une modification du contrat si l’indemnisation n’a pas résorbé la totalité du préjudice.
 
Il considère également que les parties peuvent conclure une convention d’indemnisation dans le but de compenser les charges extracontractuelles, sur le fondement de la théorie de l’imprévision.
 
Il annonce également que le juge peut octroyer une indemnité d’imprévision pour compenser les charges extracontractuelles causées par des circonstances imprévisibles extérieures et bouleversant l’économie du contrat. Cette indemnité n’entre pas dans le champ d’application des dispositions relatives aux modifications nécessaires du fait de circonstances imprévisibles. Par ailleurs, le plafond de 50 % par modification ne s’applique pas lorsque l’indemnité est accordée par le juge.
 
Précision sur l’indemnisation dans le cadre des contrats de concession
 
Si le contrat est une concession, caractérisée par le transfert d’un risque substantiel, et non un marché public, afin de déterminer si la situation est de nature à ouvrir droit à une indemnité, il conviendra de prendre en considération la part de risque de pertes que le concessionnaire accepte de courir « et que l’interprétation raisonnable du contrat de concession conduit à laisser, en tout état de cause, à sa charge ». La Haute cour précise qu' « il convient de se référer aux clauses du contrat et à l’intention des parties pour déterminer le seuil en deçà duquel son équilibre peut être considéré comme bouleversé ».
 
Sur la forme des prix stipulés dans le contrat, le Conseil d’État rappelle que l’indemnisation est toujours soumise à l’exigence du bouleversement de l’économie du contrat, qu’il soit conclu à prix global et forfaitaire, à prix unitaire, ou par référence à un prix public.
 
Enfin, le Conseil précise la nature de la convention d’indemnisation : il ne s’agit pas de la modification d’un marché ou d’un contrat de concession, mais il peut s’agir d’une convention ad hoc. Par ailleurs, l’indemnité n’a pas à figurer dans le décompte général et définitif.
 
Source : Actualités du droit