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Burkini : le Conseil d’État valide la suspension du règlement intérieur des piscines de Grenoble

Public - Droit public général
21/06/2022
Par une ordonnance en référé rendue le 21 juin, le Conseil d’État a confirmé la suspension par le tribunal administratif de Grenoble de l’autorisation du port du « burkini » résultant d’une modification du règlement intérieur des piscines de la ville de Grenoble votée en mai dernier.
La ville de Grenoble a modifié le règlement intérieur de ses piscines municipales en mai dernier en vue d’autoriser le port du « burkini ». Saisi par le préfet de l’Isère sur le fondement de l’article L. 2131-6 alinéa 5 du code général des collectivités territoriales, le tribunal administratif de Grenoble, par une ordonnance du 25 mai 2022, a suspendu l’exécution des dispositions de l’article 10 du règlement intérieur, « en tant qu’elles autorisent l’usage de tenues de bains non près du corps moins longues que la mi-cuisse ». La ville de Grenoble a ensuite fait appel de cette ordonnance.
 
Dans une ordonnance du 21 juin 2022 (CE, ord. 21 juin 2022, n° 464648), le Conseil d’État confirme la suspension de la disposition litigieuse du règlement intérieur.
 
Liberté d’expression des opinions religieuses
 
L’article 10 du règlement intérieur prévoyait : « Pour des raisons d’hygiène et de sécurité, l’accès aux bassins se fait exclusivement dans une tenue de bain correspondant aux obligations suivantes : […] Les tenues de bain doivent être faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade, ajustées près du corps, et ne doivent pas avoir été portées avant l’accès à la piscine. Les tenues non prévues pour un strict usage de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements etc), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée) et les maillots de bain-short sont interdits. […] ».

Alors qu'il lui était reproché d'enfreindre le principe de neutralité du service public, la commune soutenait notamment que la délibération visait au contraire à conforter ce même principe de neutralité et qu' « en désignant une tenue non près du corps et moins longue que la mi-cuisse, les dispositions litigieuses adoptent une rédaction neutre qui ne renvoie pas nécessairement au port d’un vêtement à connotation religieuse ». La ville de Grenoble faisait également valoir que « ni le principe de neutralité du service public, ni le principe de laïcité ne font obstacle à ce que les usagers puissent exercer, au sein du service, leur liberté d’exprimer leurs opinions et convictions ainsi que leur liberté personnelle en se vêtant de la manière dont ils l’entendent ».
 
Respect de la neutralité du service et de l’égalité de traitement des usagers
 
Le Conseil d’État, dans son ordonnance, rappelle que le gestionnaire du service public doit veiller au respect de la neutralité du service et de l’égalité de traitement des usagers et que les principes de laïcité et neutralité ne font pas obstacle par eux-mêmes à ce que des spécificités du public correspondent à des convictions religieuses. En revanche, l’article 1er de la Constitution, en vertu duquel « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances », interdit de se prévaloir de croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes.
 
La commune faisait valoir que la modification du règlement permettait aux usagers de se couvrir davantage, quelle que soit la raison. Le Conseil répond qu’au regard du contexte, la modification vise uniquement à autoriser le port du « burkini », ce qui constitue une dérogation à la règle commune « destinée à satisfaire une revendication religieuse ».
 
Règle ciblée et fortement dérogatoire
 
Ainsi, pour le la Haute cour, cette adaptation :
  • « ne répond pas au motif de dérogation avancé par la commune »,
  • « est, par son caractère très ciblé et fortement dérogatoire à la règle commune, réaffirmée par le règlement intérieur pour les autres tenues de bain, sans réelle justification de la différence de traitement qui en résulte ».
Par conséquent, cette dérogation porte atteinte au bon fonctionnement du service public, à l’égalité de traitement des usagers, ainsi qu'à l’obligation de neutralité du service.
 
Déféré laïcité
 
En application de l’article L. 2131-6 al. 5 du CGCT, dans sa version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite Loi séparatisme) : « Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures ». La loi de 2021 a ajouté l’atteinte à la laïcité et à la neutralité des services publics. Il s’agissait dans cette affaire de la première saisine du Conseil d’État dans le cadre d’un déféré laïcité.
Source : Actualités du droit