Faute inexcusable de l’employeur, clause de direction du procès et prescription de droit commun : précisions de la Cour de cassation
Affaires - Assurance
Civil - Responsabilité
04/05/2022
Dans une affaire opposant l'assureur d’une entreprise utilisatrice à l'assureur d'une entreprise intérimaire, la Cour de cassation estime que ce dernier peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 113-17 du Code des assurances. Son action en remboursement des compléments de rente et indemnités versés à la caisse et dirigée contre l'assureur de l'entreprise utilisatrice, auteur de la faute inexcusable, est enfermée dans un délai de cinq ans.
En l’espèce, un salarié intérimaire est victime d’un accident de travail alors qu’il était mis à la disposition de la société Manathan, assurée auprès de la société Générali, dont la faute inexcusable a été retenue par un tribunal des affaires de sécurité sociale.
La société Allianz, assureur de la société Adecco qui a embauché le salarié intérimaire victime de l’accident, règle une certaine somme à titre d’indemnisation à une caisse primaire d'assurance maladie et se retourne ensuite contre la société Generali en remboursement.
L'assureur de la société utilisatrice oppose à la société Allianz la prescription de son action, ce à quoi cette dernière oppose à son tour les dispositions de l’article L. 113-17 du Code des assurances selon lesquelles l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès.
La cour d’appel approuve les arguments apportés par l’assureur de la société utilisatrice estimant que les dispositions précitées sont applicables uniquement dans les rapports entre assureur et assuré et que la société Allianz, tiers au contrat, n'est pas fondée à s'en prévaloir. En outre, précise la cour, le tribunal des affaires de sécurité sociale ne statue pas sur la garantie, de sorte que la société Generali n’aurait pas pris la direction du procès intenté à son assuré dès le début de la procédure, ce qu’exclut par corollaire l’application des dispositions de l’article L. 113-17. Enfin, pour les juges d’appel, l'action de la société Allianz, est une action directe à l'encontre de la société Generali, soumise à une prescription biennale du Code des assurances.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris est cassé dans toutes ces dispositions par les hauts magistrats. La deuxième chambre civile conclut que « l'action directe dont dispose l'assureur de l'entreprise intérimaire contre l'assureur de l'entreprise utilisatrice déclarée responsable d'un accident du travail, […], peut être exercée tant que le second assureur se trouve exposé au recours de son assuré, et que l'assureur de l'entreprise intérimaire peut se prévaloir à l'encontre de cet assureur, au soutien de la recevabilité de cette action, de la présomption selon laquelle celui-ci, ayant pris la direction du procès fait à son assuré, a renoncé aux exceptions qu'il pouvait opposer à ce dernier ». Toujours au visa de l’article L. 113-17 du Code des assurances, les hauts magistrats précisent que l'assureur qui défend son assuré à l'occasion d'un litige dont l'objet est de nature à déclencher la mise en œuvre de sa garantie prend la direction d'un procès intenté à cet assuré, contrairement à la solution des juges d’appel. Enfin, il résulte de l’ensemble des articles 2224 du Code civil, L. 452-2, L. 452-3, L. 452-4, alinéa 3, et L. 412-6 du Code de la sécurité sociale, et L. 124-3 du Code des assurances que « que l'action en remboursement des compléments de rente et indemnités versés à la caisse que l'assureur de l'entreprise de travail temporaire peut exercer contre l'entreprise utilisatrice, auteur de la faute inexcusable, se prescrit également par cinq ans » et que l’« action directe à l'encontre de l'assureur de cette entreprise se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre cet assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré ».
Éléments d’analyse
La configuration particulière de l’affaire, qui a opposé l’assureur de l’entreprise utilisatrice à l’assureur l'entreprise intérimaire, n’a pas perturbé la Cour de cassation quant aux solutions rendues et constitue un rappel utile aux juges du fond.
Pour mémoire, la faute inexcusable de l’employeur ouvre pour la victime le droit à la majoration de sa rente indemnitaire payée par une caisse de sécurité sociale, toujours solvable, qui ensuite « en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur » (CSS, art. L. 452-3). À ce titre, la Caisse dispose d’une action récursoire dont le délai de prescription est de droit commun, cinq ans, en vertu de l’article 2224 du Code civil. En parallèle, l’action directe de l’assureur de l’employeur, qui couvre les conséquences de sa faute inexcusable, est enfermée dans le même délai de cinq ans, ce qu’une récente solution de la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer (Cass. 2e civ., 10 nov. 2021, n° 20-15.732). En l’espèce, l’assureur de l’entreprise intérimaire Adecco règle les sommes que la caisse primaire d'assurance maladie a versées à titre d’indemnisation à la victime et se retourne logiquement contre l’assureur de l’entreprise utilisatrice fautive. La complexité factuelle du jeu des actions ne remet pourtant pas en cause la logique des textes applicables. C’est donc à juste titre que la Cour a saisi l’occasion de réaffirmer sa solution récente.
De même, estiment les hauts magistrats, l’assureur de l’entreprise intérimaire peut se prévaloir de l’application des dispositions de l’article L. 113-17 du Code des assurances. Pour rappel, la présomption qu’instaure ledit article ne peut jouer qu’à condition que l’assureur (de l’entreprise utilisatrice en l’occurrence) ait effectivement pris la direction du procès (pour la définition de la direction du procès v. Le Lamy Assurances 2022, n° 1559), qu’il ait eu connaissance des exceptions (Cass., 1re civ., 8 avr. 1986, n° 84-13.883) et qu’il n’ait pas émis de réserves (Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 00-15.201). Par ailleurs, tout moyen invoqué par l'assureur pour contester sa garantie n’est pas une exception contrairement à ce qu’il est possible de (raisonnablement) conclure à la lecture de l’article L. 113-17 : les exceptions visées par cet article « en ce qu'elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent ni la nature des risques garantis ni le montant de cette garantie » (Cass. 3e civ., 20 oct. 2010, n° 09-15.093 et n° 09-66.968 ; Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-10.092 ; v. également Le Lamy Assurances 2022, n° 1563). Toutefois, l’assureur ne peut valablement opposer à son assuré, entre autres, une exclusion de garantie (Cass. 1re civ., 10 avr. 2008, n° 07-12.796), la nullité du contrat (Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, n° 03-14.260) ou encore la prescription (Cass. 3e civ., 3 nov. 1988, n° 86-19.592 ; v. également Le Lamy Assurances 2022, n° 1290), comme dans la présente espèce.
Source : Actualités du droit