Impossibilité de recourir à la QPC pour revendiquer la création d’un nouveau régime

Public - Droit public général
18/02/2021
Dans un arrêt du 12 février 2021, le Conseil d’État déclare qu’une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être soulevée pour incompétence négative dans le but de demander la création d’un nouveau régime législatif. Il annonce également que les lettres patentes du roi Louis XV ne font pas partie des dispositions législatives susceptibles d’être renvoyées au Conseil constitutionnel.
Un prétendant au titre de duc demandait l’annulation d’un arrêté de la ministre de la justice refusant de l’inscrire sur les registres du sceau de France comme ayant succédé à ce titre. Le garde des sceaux dispose en effet, en application des décrets du 8 janvier du 8 janvier 1859 et du 10 janvier 1872, du pouvoir de vérifier les titres de noblesses, et avait fondé son refus sur le fait que le requérant n’était pas né en légitime mariage de la personne déclarée comme son père. Après s’être vu opposer un rejet par le tribunal administratif puis en appel, le requérant demande au Conseil d’État de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le respect des droits et libertés garantis par la Constitution par les articles 34, 34-1, 35, 40, 46 et 49, 61, 61-1, 61-2, 61-3, 61-3-1 et 61-4 du code civil, relatifs à l'établissement, au contenu et à la tenue des actes de l'état civil et aux changements de prénoms et de nom.
 
Incompétence négative du législateur
 
Le requérant soutenait que les dispositions contestées du code civil étaient contraires à la Constitution du fait d’une incompétence négative de la part du législateur. Il contestait la différence de traitement entre les enfants nés hors mariage et ceux nés dans le cadre du mariage, cette différence ayant fondé le refus d’inscription au registre des titres de noblesse. Il indiquait ainsi que le législateur « en [ne] définissant pas les règles relatives à la transmission des titres nobiliaires (…) avait méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant des droits et libertés que la Constitution garantit », au titre desquels le principe d’égalité devant la loi, garanti par les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
 
Sur le fond, le Conseil d’État rappelle dans son arrêt (CE, 12 févr. 2021, n° 440401) que la seule compétence du garde des sceaux en matière de titres de noblesse « est celle de se prononcer sur les demandes de vérification des titres de noblesse », et donc de vérifier les preuves de propriété du titre. Ainsi, en ayant refusé l’inscription du requérant au registre du sceau de France, et en inscrivant une autre personne, « le ministre ne fait pas application des dispositions précitées du code civil, qui ont un tout autre objet ».
 
Demande de création d’un nouveau régime législatif
 
Sur la QPC soulevée pour incompétence négative « faute [pour les dispositions citées] de comporter des règles relatives à la transmission des titres nobiliaires », le Conseil d’État oppose un refus au requérant. Il déclare en effet que le grief d’incompétence négative « ne peut être utilement présenté qu’à l’encontre de dispositions applicables au litige et à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu’elles instaurent et non pour revendiquer la création d’un régime dédié ». Le rapporteur public Guillaume Odinet, à ce propos, a noté dans ses conclusions que le raisonnement du requérant « pousse à l’extrême le grief d’incompétence négative : il saisit des dispositions prétextes et conteste en réalité, non pas l’insuffisance de l’intervention du législateur, mais l’absence de cette intervention », le requérant critiquant « l’absence pure et simple de règles relatives à la transmission des titres nobiliaires » et non le régime de transmission.
 
La Haute cour rappelle ainsi que les conditions de transmission d’une QPC (à savoir une disposition nouvelle, qui n’a pas déjà été déclarée conforme et présentant un caractère sérieux), sont encadrées et limitées. Ainsi, un requérant ne peut utiliser le recours à la QPC pour demander la création d’un nouveau régime législatif, comme c’était le cas ici.
 
Absence de valeur législative des lettres patentes du roi Louis XV
 
Par ailleurs, le requérant demandait au Conseil le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité des dispositions des lettres patentes du roi Louis XV de France de juin 1742. Ces lettres prévoyaient en effet que « le titre, qualité et honneur de duc héréditaire » est transmis à « l’ainé de ses mâles nés et à naître de lui en légitime mariage », et c’est donc sur ces dispositions que la ministre avait fondé son refus d’inscription au registre, le requérant étant né hors mariage.
 
À cette demande, la Haute cour déclare sans surprise que ces lettres patentes du roi ne sont pas au nombre des dispositions législatives pouvant faire l’objet d’une QPC au sens de l’article 61-1 de la Constitution, et rejette donc la demande de transmission de la question. Le rapporteur public rappelait en effet que la transmission d’une QPC n’était pas limitée aux textes édictées après le régime actuel de séparation des domaines de la loi et du règlement datant de 1958, mais qu’il fallait tout de même que les dispositions critiquées soient « regardées comme de nature législative ». Il s’agit de déterminer si l’acte a été édicté dans l’exercice du pouvoir administratif, indique Guillaume Odinet, se référant à deux décisions au sujet de lettres patentes (CE, sect. 10 juill. 1970, n° 74606, Société civile du Domaine de Suroit, et CE, 26 mars 1982, n° 96352, SA « Marine Côte d’Argent »). S’agissant des titres de noblesse, les actes ont un caractère administratif.
 
Sur la QPC, voir le nouveau Lamy contentieux administratif, en ligne depuis janvier 2021, étude 17.
Source : Actualités du droit