Retour aux articles

Malte, premier pays au monde à fournir une sécurité juridique aux acteurs de la blockchain

Tech&droit - Blockchain
13/07/2018
Si la France a été l'un des premiers États à prévoir un cadre législatif pour certains cas d'usage de la blockchain (Ord. n° 2016-520, 28 avr. 2016, bons de caisse et Ord. n° 2017-1674, 8 déc. 2017, utilisation d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers), si Monaco réfléchit également à une régulation, Malte est bien le premier État à avoir définitivement adopté des textes, trois en l'occurrence, centrés sur les cryptoactifs. Analyse de ces lois par Céline Moille, avocat associé chez Yellaw, docteur en droit.
Contrairement à ce qu’indiquait Anne Maréchal, la directrice des affaires juridiques de l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui travaille sur une règlementation des ICO depuis un an et demi, la France ne sera pas le premier pays au monde à adopter pareilles lois pour l’écosystème blockchain.
 
Le 4 juillet 2018 restera un jour important pour Malte, celui au cours duquel le Parlement maltais a officiellement voté les trois projets de loi établissant le premier cadre réglementaire pour la blockchain, la cryptomonnaie et les DLT (Distributed Ledger Technology). Cela fait donc de Malte le premier pays au monde à fournir un ensemble officiel de réglementations pour les opérateurs de la blockchain, de la cryptomonnaie et de l'espace DLT.
 
Voici les trois lois votées :
  • L’Innovative Technology Arrangements and Services Act (dit TAS), qui définit le régime d’enregistrement des fournisseurs de services technologiques et la certification des accords technologiques ;
  • Le Malta Digital Innovation Authority Act, qui prévoit la mise en place de la Malta Digital Innovation Authority (MDIA) travaillera en étroite collaboration avec le régulateur des services financiers (MFSA, Malta Financial Services Authority) pour s’assurer que les entreprises DLT sont assistées, guidées et réglementées dans leur mise en place et leur fonctionnement ; 
  • Le Virtual Financial Assets Act, qui précise le cadre et le régime de réglementation relatif à la fourniture de certains services utilisant les monnaies virtuelles.
Voici le lien, actif dans quelques jours, pour retrouver les lois définitivement adoptées : http://www.justiceservices.gov.mt/LegalPublications.aspx?pageid=30&type=1
 
L’approche maltaise
Quelles sont donc les spécificités maltaises ? À la différence de la région de Zoug en Suisse (connue sous le nom de « Crypto Valley », berceau de l’ether), du Liechtenstein ou encore d'autres pays, Malte envisage la réglementation de la blockchain en ayant une approche tournée vers la technologie utilisée par les opérateurs.

Un audit des smart contracts.- Ce que veulent les autorités maltaises, c’est apprécier la technologie référencée dans les livres blancs (les white paper). Mais Malte ne souhaite pas se contenter d’une simple certification des livres blancs qui lui sont transmis : l’île veut aller plus loin et comprendre les différentes technologies mises en œuvre. La Malta Digital Innovation Authority (MDIA) certifiera les plateformes DLT et les smart contract. Le livre blanc sera quant à lui approuvé par la MFSA.
 
"39. (1) The competent authority may, by notice in writing, require (...) to do all or any of the following :
(i) to furnish to the competent authority, at such time and place and in such form as it may specify, such information and documentation as it may require, including the power to require existing telephone, existing data traffic and existing DLT records, with respect to any such service, DLT asset, advertisement or website as aforesaid, or with respect to any person with whom the licence holder or VFA agent has close links within the meaning of article 17 ;
(ii) to review the determination made in terms of articles 3 or 13 and confirm in writing the competent authority that such determination is true and accurate or otherwise ;
(iii) to furnish to the competent authority any information or documentation aforesaid verified in such manner as it may specify  ;
(iv) to attend before the competent authority, or before a person appointed by it, at such time and place as it may specify, to answer questions and provide information and documentation with respect to any such service, scheme or advertisement as aforesaid :
Provided that the powers in this article shall not permit the competent authority to demand information about source codes of any proprietary technology or of information of highly sensitive, intellectual property which is protected by law and which relates to innovative DLT or smart contracts" (Virtual Financial Assets Act, art.39).
 
Une autorité ad hoc.- C'est également la MDIA qui est chargé de vérifier le code des DAO (decentralized autonomous organizations) et de leur accorder ou non le titre de « Technology Arrangement » (Innovative Technology Arrangements and Service (ITAS Bill, 4 juill. 2018, art. 5.3). La DAO doit à cet égard être perçue comme une structure semblable à une société à responsabilité limitée avec des droits et des devoirs, à l’instar d’une entreprise enregistrée, avec une différence, toutefois, dans la mesure où une DAO fonctionne sans supervision managériale car les règles de gouvernance sont automatisées et inscrites de façon immuable et transparente dans une blockchain.
 
Innovative Technology Arrangements
The following shall be considered to be innovative technology arrangements for the purposes of this Act :
1. software and architectures which are used in designing and delivering DLT which ordinarily, but not necessarily:
(a) uses a distributed, decentralized, shared and, or replicated ledger;
(b) may be public or private or hybrids thereof;
(c) is permissioned or permissionless or hybrids thereof;
(d) is immutable;
(e) is protected with cryptography; and
(f) is auditable;
2. smart contracts and related applications, including decentralized autonomous organisations, as well as other similar arrangements;
3. any other innovative technology arrangement which may be designated by the Minister, on the recommendation of the Authority, by notice from time to time (Innovative Technology Arrangements and Services Act, firsct schedule, art. 2 et 8).
 
En toute hypothèse, si une "entreprise" veut obtenir une licence par le MDIA elle doit réussir le « Financial Instrument Test » (Vir­tu­al Finan­cial Assets Act, 4 juill. 2018, art. 47).
 
Un nouveau métier, celui d’agent en virtual financial assets.- Pour encadrer les émetteurs et les accompagner dans leurs démarches, les autorités maltaises ont créé le titre d’agent VFA (Vir­tu­al Finan­cial Assets). Cet agent a pour mission de réaliser le fameux Financial Instrument Test et de vérifier, notamment, si l'actif traité est avant tout un instrument financier ou de la monnaie électronique, d’examiner si un produit financier ou une entreprise relève du cadre européen du Markets in Financial Instruments Directive (MIFID) ou pas.
 
Il est prévu que le Test sera applicable aussi bien dans le cadre d'une ICO, que lors de l'intermédiation d'actifs DLT par des personnes exerçant certaines activités relatives à ces actifs à Malte ou à partir de Malte.
 
La personne ainsi désignée sera également une sorte d’agent de liaison entre l’entreprise et l’autorité de régulation maltaise. Cette fonction d’agent VFA est limitée à certaines personnes inscrites auprès de l'autorité compétente (Mal­ta Finan­cial Ser­vices Author­i­ty ; il pourra s’agir de cabinets d'avocats, d’avocats, de prestataires de services autorisés, de comptables ou d’auditeurs) :
 
"VFA agent" means a person registered with the competent authority under this Act and authorised to carry on the profession of :
(a) advocate, accountant or auditor; or
(b) a firm of advocates, accountants or auditors, or
corporate services providers; or
(c) a legal organisation which is wholly owned and controlled by persons referred to in paragraphs (a) or (b), whether in Malta or in another recognised jurisdiction, or any other class of persons holding authorisations, qualifications and, or experience deemed by the competent authority as possessing suitable expertise to exercise the functions listed under articles 7 and, or 14 ” (Virtual Financial Assets Act 2018, art. 7)
 
Les grands principes juridiques de régulation étant désormais voté, un cadre réglementaire solide protégera les consommateurs, les investisseurs et permettra plus de transparence et de visibilité. Ce qui laisse à Malte la possibilité d’adopter diverses lois en fonction du rôle en constante évolution de la technologie. Selon le docteur Abdallah Kablan, expert Fintech, la façon dont Malte a abordé le contexte de la technologie est unique, en ce sens qu'elle crée une forme de régulation par la certification dans un secteur qui manque actuellement de telles mesures (https://www-forbes-com.cdn.ampproject.org/c/s/www.forbes.com/sites/rachelwolfson/2018/07/05/maltese-parliament-passes-laws-that-set-regulatory-framework-for-blockchain-cryptocurrency-and-dlt/amp/).
 
Malte se démarque ainsi avec peut-être le programme réglementaire le plus avant-gardiste.

Un modèle pour les pays de l’Union européenne ?
L'Union européenne, tout comme les pays membres, ne disposent pas actuellement d'un cadre juridique spécifique régissant les activités liées à la blockchain. Malte pourrait ainsi les inspirer tout en restant particulièrement attractive.
 
Le pays travaille d’ailleurs à la création d'un écosystème dédié à la blockchain dépassant le seul cadre règlementaire. Espaces de co-working destinés aux entreprises blockchain, formations universitaires, réforme du système bancaire, etc. (sur ce sujet, v. https://mita.gov.mt/en/ict-features/Pages/2018/Blockchain-Research-at-the-University-of-Malta.aspx ; https://www.timesofmalta.com/articles/view/20171008/business-news/Blockchain-and-cryptocurrencies-the-future-of-Maltese-banks-is-here.659884). Le ministre maltais Silvio Schembri est à la manœuvre. Il souligne ainsi que « même les projets les plus courageux, liés à la technologie ou non, nécessitent le bon environnement pour grandir et se renforcer et nous sommes déterminés à offrir cet environnement à Malte ». Mais Malte ne s’arrête pas là…
 
Vers une nouvelle personnalité juridique de droit maltais ?
À l’instar de la quarte du conjoint pauvre (sans équivalent en droit français) qui a occupé les juristes de droit international privé pendant de nombreuses années à propos de la qualification d’une institution étrangère sans équivalent en droit français (CA Alger, 24 décembre 1889, Bartholo), il semblerait que Malte ait une nouvelle fois créer une notion juridique encore inconnue.
 
Quid, en effet, de la « E-Residency and Digital Identity (of Individuals and Legal Entities) on the Blockchain » ?
 
Pour Steeve Tendon, premier président de la Blockchain Malta Association et membre clé du groupe de travail national de blockchain de Malte (https://coincentral.com/steve-tendon-malta-blockchain-island/), les nouvelles entités créées via la blockchain vont être, pour la plupart, autonomes, tout en se déployant dans le monde physique. Ainsi, afin de sécuriser les relations, à un certain moment, il doit nécessairement y avoir un moyen de les identifier au travers d’une résidence et d’une identité numérique et Malte y travaille.
 
Mais encore, au-delà de l’écosystème blockchain, les nouvelles lois maltaises vont potentiellement avoir des répercussions sur la société civile en général : pour certains auteurs (https://www-coindesk-com.cdn.ampproject.org/c/s/www.coindesk.com/among-blockchain-friendly-jurisdictions-malta-stands-out/), les « Technology Arrangement» vont désormais pouvoir "fonctionner" comme des personnes juridiques à part entière, avec des droits et des devoirs.
 
Tandis que certains « Technology arrangement » appartiennent à une structure d'entreprise, d'autres ne sont pas dans le même cas. La nouvelle règlementation maltaise essaie de fournir une solution à un tel scénario : il est proposé que certains « Technology arrangement » puissent s'inscrire auprès du bureau d'enregistrement pour les personnes morales à Malte et acquérir ainsi la personnalité juridique, après avoir satisfait à un certain nombre d'exigences.

Des lors, sachant qu’un « Technology arrangement » pourrait avoir les mêmes prérogatives qu'une société "classique", des résolutions pourraient donc être adoptées ou encore des actes de gestion pourraient être réalisés et ce, via l’intelligence artificielle et les smart contracts.
 
Personne morale, personne physique, personne "robotisée"… Toutes les trois devraient être reconnues à part entière par les systèmes juridiques existants et bénéficier de prérogatives. Ainsi, un « Technology arrangement » pourrait, par exemple, acheter un bien immobilier ou encore vendre ses titres, dans un pays de l’Union comme une personne juridique en tant que tel et l’Union européenne ne pourrait probablement pas s’y opposer, dans la mesure où tous les États membres sont tenus de reconnaître l'existence d'entités juridiques ou de personnes juridiques d'autres États membres et que l’Union n’a pas la capacité "d’effacer" les personnalités juridiques de ses États membres.
 
En adoptant pareille réglementation, les autorités maltaises ont largement pris de cours les États membres et l’Union européenne : en instaurant un certain degré d'autonomie pour ces innovations digitales et numériques, ils seraient donc en mesure d’interagir avec leurs homologues humains, en intervenant ès qualité de cocontractant, de propriétaire…
 
Malte semble ainsi en passe de devenir plus que la « blockchain island », la « robot island… 
 
Source : Actualités du droit