Retour aux articles

Incubateur, prix de l’innovation, nouvelles offres de services : la stratégie numérique des avocats

Tech&droit - Start-up
03/07/2018
Le 2 juillet dernier était le grand jour de la stratégie numérique du barreau de Paris : le lancement de Campus 2018 avec de nombreuses conférences consacrées à l’impact du numérique sur la profession, la remise du prix de l’innovation et la présentation à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, par Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, et Basile Ader, vice-bâtonnier, des quatre start-up lauréates du prix de l’incubateur du barreau de Paris.
Pour la garde des Sceaux, « cette question de l’innovation, est une question centrale pour nous tous. Il n’y saurait y avoir de développement de notre système judiciaire, sans l’apport du numérique, qui offre une réponse à la fois très fondée, immédiate et pertinente, d’une part, aux justiciables, et, d’autre part, aux acteurs de notre justice ». D’innovation, il a été précisément question lors de la présentation des tout nouveaux locaux de l’incubateur du barreau de Paris. L’événement a débuté par une rencontre entre la ministre de la Justice, des porteurs de projets et des étudiants de l'École de formation du barreau (EFB) ayant bénéficié des cours du Lab (sur le Lab EFB, v. Berlioz P., directeur de l’EFB : « La finalité du Lab est d’être une école de la transformation numérique et une pépinière de projets », Actualités du droit, 16 avr. 2018). Il s’est poursuivi par un discours de la ministre sur la place des avocats dans la transformation numérique de la justice.
 
Les ambitions de l’incubateur du barreau de paris :
Depuis sa création il y a plus de quatre ans, l’incubateur du barreau de Paris sensibilise et encourage les avocats à saisir les opportunités offertes par le numérique et à proposer à leurs confrères, aux autres professionnels du droit mais aussi aux justiciables, de nouveaux services.
 
Le 2 juillet était donc un grand jour : celui de l’inauguration officielle des locaux de cet incubateur, situés à l’EFB, à Issy-Les-Moulineaux.
 
L’objectif de cet incubateur est clairement affiché : faire émerger des solutions innovantes, utiles aux cabinets d’avocats et, surtout, créées par des avocats (v. PeyronM.-A, Bâtonnier de Paris : « L’objectif, avec l’incubateur et le Lab EFB, c’est de construire un écosystème favorable à l’innovation », Actualités du droit, 30 mars 2018). Seuls peuvent ainsi bénéficier d’une incubation, les projets portés à 51 % par des avocats du barreau de Paris.
 
Moins perçues comme des concurrents, les start-up de la legal tech intéressent désormais les avocats, qui y voient un moyen d’adresser des marchés non encore couverts par leurs offres de services. Et pour se distinguer des autres acteurs déjà en place, l’accent est désormais mis sur les garanties qu’offrent les avocats par rapport aux autres entrepreneurs, ceux qui ne sont pas des professionnels du droit ou de la justice. Car pour Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, « la déontologie est un outil de compétitivité et pas du tout un frein ».
 
Les quatre projets incubés
L’incubateur a reçu en tout 36 dossiers de candidature. Après leur audition par un jury présidé par Marie-Aimée Peyron, quatre sociétés ont été retenues. Elles disposeront d’un an de mentoring et d’incubation au sein des nouveaux locaux de l’incubateur du barreau de Paris.
 
Voici les lauréates :
  • Prodroit, qui est une plateforme d’accompagnement des TPE/PME dans leurs problématiques juridiques. Portée par Samya Badouraly, avocat-entrepreneur, sa proposition de valeur est d’expliquer le droit aux dirigeants des TPE/PME et de leur proposer des modèles gratuits d’actes. Mais aussi de rendre l’avocat accessible financièrement et physiquement tout en favorisant un mode amiable de règlement des conflits ;
  • Legalhope, qui a développé une plateforme permettant à toute personne souhaitant bénéficier d’un conseil, sur une problématique juridique ou un contentieux, d’obtenir en quelques clics, sans se déplacer, et au cours d'un seul et unique rendez-vous, la stratégie et les conseils de trois avocats indépendants. Son fondateur est Jérémy Maruani, avocat au barreau de Paris, qui s'est entouré d'Andrea Salama, Bryan Maruani, et Jeremy Maruani, respectivement développeur Fullstack (React JS) et développeur mobile iOS Android ;
  • Avocalix, qui donne aux avocats le pouvoir de créer en 5 minutes une legaltech sur mesure ou un site web personnalisé et modulable à l’envie, sans aucune connaissance technique. Avocalix est un projet porté par Valéry Lontchi, avocate au barreau de Paris et fondatrice du cabinet Legalix, accompagnée par Antoine Rostand, polytechnicien, et Jean-Michel Lasry, professeur de mathématiques,  les deux autres co-fondateurs de la solution;
  • Legabot, est un chatbot qui ambitionne d’accompagner le justiciable en lui délivrant une première information juridique gratuite, pour ensuite le guider vers une procédure adaptée à sa situation : les petits litiges sont traités à un prix adapté grâce au document juridique rempli directement par le justiciable à l’aide du chatbot, puis vérifié par un avocat. Les litiges complexes ou aux enjeux importants sont renvoyés vers un avocat grâce à l'intermédiation de la plateforme. Ce projet est porté par un élève-avocat, Lucas Vincent, et un développeur.
 
Les prix de l’innovation de l’incubateur 2017- 2018 :
Dans la foulée, Marie-Aimée Peyron, Basile Ader, Christiane Féral-Schuhl et Nicole Belloubet, ont distingué trois initiatives, avec la remise des prix de l’innovation 2017-2018. Ont ainsi été primés : Un appel à ce que les avocats soient acteurs de cette transformation numérique de la justice
« Je suis très heureuse d’avoir constaté à quel point votre profession allait de l’avant », a tenu à souligner la garde des sceaux. « Ce que j’ai vu aujourd’hui, répond vraiment à un tryptique de proximité, d’adaptation et d’ouverture vers de nouveaux possibles ».

Proximité, d'abord. Pour la ministre, les justiciables sont demandeurs de cette proximité et les avocats peuvent participer à l’amélioration de l’accès au droit. Mais Nicole Belloubet prévient : « qu’on ne vienne pas me dire que le développement numérique empêcherait de manière automatique le contact entre un justiciable qui ne possèderait pas d’accès à ces outils numériques et la justice. Je m’inscris absolument en faux contre cela. Ce développement peut parfaitement se construire en développant un accueil physique dans chacun des tribunaux (SAUJ) ».
 
Adaptation, ensuite. La ministre a expressément demandé aux avocats d’« être autrement, ce que vous êtes fondamentalement ». « Votre présence change de forme. J’ai besoin de votre mutation pour répondre à ces nouvelles exigences auxquelles nos concitoyens peuvent prétendre ».
 
Anticipation, enfin : « cette anticipation résulte, pour la ministre de la Justice, de votre volonté de ne pas toujours être seuls dans l’exercice de votre office, mais de vous ouvrir à d’autres paramètres, à d’autres professions (interprofessionalité, dont Campus porte témoignage) ».
 
En écho aux débats lors du premier forum parlementaire de la legaltech du 18 juin dernier (sur ce sujet, v. Bas Ph., sénateur LR, président de la commission des lois : « L’objectif était de contribuer à la réflexion sur la question de la régulation des legal techs », Actualités du droit, 22 juin 2018), Nicole Belloubet a également insisté sur les garanties qui doivent accompagner ce déploiement du numérique : « tout cela doit se faire dans le respect de l’éthique et de la déontologie que vous avez toujours portés. C’est la raison pour laquelle, si j’envisage dans le projet de loi de réforme de la justice, le déploiement du numérique, je dis aussi clairement avec vous et devant vous que cela ne pourra se faire qu’en assurant celles et ceux qui accèderont à ces plateformes d’une qualité et de la déontologie de ceux qui ont construit ces plateformes. Nous veillerons aussi à ce que ces plateformes ne soient pas exclusivement fondées sur des algorithmes ».
 
La ministre est, pour finir, revenue sur un décret très attendu, qui pourrait ouvrir le champ des propositions de valeur des start-up, celui portant sur « l’open data des décisions de justice qui, désormais, va pouvoir se déployer très rapidement, et vous ouvrira aussi de nouvelles possibilités. Cet open data devra également être maîtrisé, pour qu’il n’y ait pas atteinte à des données personnelles ».
 
Wait and see, a-t-on assez envie de dire…
Source : Actualités du droit