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Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB : « S'il est avéré qu'il y a eu usurpation de la qualité d'avocat, nous envisagerons une action en justice »

Tech&droit - Start-up, Données
29/06/2018
La veille de l'annonce d'une importante levée de fonds par une legaltech bien connue, un article du Monde révélait une possible affaire d'usurpation de l'identité de plusieurs centaines de noms de cabinet d'avocats par cette société. Le lendemain, une enquête de Maddyness détaillait ce qui pourrait être le montage de cette opération, destinée à obtenir de manière automatisée un grand nombre de décisions de justice. La réaction de la présidente du Conseil national des Barreaux, Christiane Féral-Schuhl.
Actualités du droit : Le Monde vient de révéler une possible affaire d’usurpation massive de noms de cabinets d’avocats (on parle de plusieurs centaines d’url typosquatter). Quelle est votre réaction ?
Christiane Féral-Schuhl : En l'état actuel, nous n'avons pas connaissance du détail du dossier. Mais si les faits sont avérés, il s'agirait d'une affaire grave et inacceptable qui doit appeler une réponse ferme.

Je l'avais dit au Sénat en introduction du premier forum sur les legaltechs, celles-ci, portées par des professionnels non réglementés ne peuvent pas ignorer la loi. Elles ne peuvent pas, d'autant plus, se faire passer pour des professionnels réglementés. Il y a là un réel danger pour les justiciables. J'avais osé dénoncer dans un discours qui me fut reproché, le « far west » qui menaçait avec l'action non régulée d'acteurs non réglementés en matière de services juridiques.

Ces méthodes, si elles étaient confirmées, sont bien dignes du far west... C'est bien ce que je redoutais, ce que je dénonçais.
 
AdD :  Si les faits sont avérés, allez-vous porter cette affaire en justice ?
C. F.-S. : S'il est avéré qu'il y a eu usurpation de la qualité d'avocat, nous envisagerons une action en justice. J'ai saisi le Bâtonnier Olivier Fontibus, président de la commission "Exercice du droit" du CNB de ce dossier et je sais pouvoir compter sur sa détermination.

L'affaire est à l'étude. Une chose est sûre, nous serons très attentifs aux suites de cette affaire. 
 
AdD :  Recommandez-vous aux avocats dont l'url du cabinet aurait été typosquatté d'agir en justice ?
C. F.-S. : Oui, bien sûr. Je les appelle surtout à se rapprocher du CNB pour que nous puissions, le cas échéant, réagir de manière concertée.
 
AdD :  Est-ce que tout ceci n’incite pas à accélérer l’open data des décisions de justice, y compris celles des tribunaux de commerce ?
C. F.-S. : Cette affaire éclate alors que nous discutons avec le gouvernement de la numérisation de la justice. Avec l'open data, bien sûr, mais plus largement, avec toutes les mesures prévues pour développer les plateformes en ligne.
 
AdD :  Et à davantage réguler les legal tech, pour permettre de distinguer celles vertueuses, c’est-à-dire « éthiques by design » ?
C. F.-S. : Cette affaire confirme ce que nous ne cessons de dire au gouvernement : les acteurs numériques du juridique doivent être labellisés, régulés. Les professions réglementées du droit, les avocats en premier lieu, offrent seuls l'ensemble des garanties au justiciable. L'avenir leur appartient.

La preuve : certains acteurs non réglementés essaieraient de se faire passer pour des avocats !  En la matière, je crois moins à l'éthique qu'au droit : la question n'est pas de savoir quelles sont les legaltechs les plus "vertueuses". Mais de savoir quelles sont celles qui offrent les meilleures garanties à leurs clients. À ce sujet, on ne fera jamais mieux que les garanties offertes par les avocats.

Le gouvernement doit comprendre - il a progressé sur le sujet - que ce qui est en jeu, ce n'est pas un quelconque monopole de qui que ce soit, mais c'est bien la sécurité juridique et la crédibilité des acteurs dans notre pays.

Propos recueillis par Gaëlle Marraud des Grottes
Source : Actualités du droit